Entre un éléphant et un gps absent

- C'est un Elephas Maximus!

La jeune fille fronça les sourcils, tellement qu'ils faillirent se rejoindre au mileu de son front, et elle retourna la petite image qu'elle tenait entre les mains pour vérifier ce qu'il y avait dessiné dessus. Son visage exprima une franche incrédulité et son regard fit le tour des visages aussi bien attentifs qu'excités qui lui faisaient face. Elle prit une grande inspiration.

- Et bien... Non, conclut-elle finalement en remontrant le dessin aux enfants assis autour d'elle. Une suggestion un peu plus... lumineuse?

Ils s'étaient installés sur le bas côté d'une ruelle de fréquentation populaire et l'aspirale avait entrepris de faire cours aux enfants qui passaient par là. C'était gratuit, et ça les occupait. Et, accessoirement, ça les instruisait. Elle-même aurait préféré passer son temps à apprendre, mais l'heure était venue pour elle de faire partager ses connaissances à tous ceux qui le désiraient. Et comme elle n'avait aucun élève attitré, elle s'était retrouvée, comme la plupart de ses camarades de classe, condamnée à enseigner dans la rue, aux pauvres hères qui réclamaient l'instruction sans avoir assez d'argent pour se la payer.

Aïane n'avait rien contre le fait de devoir s'assoir par terre, en la compagnie du peuple, comme une misérable. Et elle aimait voir les visages heureux de ses éphémères élèves, qui pensaient avoir appris tous les secrets que le monde recélait en seulement quelques minutes. Elle savait que c'était un privilère, pour certains, de croiser au détour d'un chemin, par le plus grand des hasards, une aspirale faisant cours à qui voulait. Cependant, parler à des personnes au savoir limité plutôt qu'à des prêtresses supérieures aguerries était un peu... frustrant. Mais la jeune fille balaya ses impures pensées et se concentra sur sa situation présente.

- Ceci est loin d'être un Elephas Maximus, finit-elle par révéler à son public.

Il y avait surtout de jeunes enfants curieux de tout et participant plus que nécessaire, mais aussi quelques adultes faisant une pose dans leur travail et des personnes âgées cherchant une distraction.

- Ceci est un Taraxacum Officinale, avoua-t-elle. Plus communément appelé pissenlit.

- Je savait bien qu'il y avait des 'a' et des 'x' et que ça sonnait bizarre! lança une voix triomphante parmis les jeunes personnes.

Aïane se fendit d'un sourire, reconnaissant l'enfant qui avait suggéré que son dessin était un Elephas Maximus. Si cette phrase était sortie de la bouche d'une de ses congénères, la jeune aspirale s'en serait offusquée, mais là, elle savait que la pique relevait de l'ignorance.

- Oh, vraiment? fit-elle en feignant la surprise. Alors peut-être peux-tu nous dire ce qu'est un 'Elephas Maximus'?

Le petit garçon regretta aussitôt d'avoir attiré l'attention sur lui, mais ne se démonta pas pour autant.

- C'est... c'est une éllebore! répondit-il avec toute l'assurance de son jeune age.

Le sourire d'Aïane s'aggrandit et son interlocuteur grimaça. L'aspiral le connaissait assez bien, si on pouvait ça comme ça. Il était de ceux qui venaient fréquemment lorsqu'elle donnait des cours et la jeune fille devait s'avouer être impressionnée par le fait qu'il eut retenu le nom de la plante.

- Négatif, lacha-t-elle comme une bombe. Un Elephas Maximus, c'est un éléphant.

Une vague de rire enfantin balaya l'assistance et le garçon rougit légèrement.

- Un éléphant est un mammifère, c'est à dire un être dont la femelle dispose de mamelles pour allaiter son petit, qui vit dans les régions chaudes. Il est notamment chassé pour l'ivoire de ses défenses, recherché pour la confection de nombreux bijoux.

- J'le sais, d'abord, grogna l'enfant.

- Ah? l'encouragea Aïane. Peux-tu nous en dire plus, alors?

- Heu...

Les regards se rivèrent sur la timide silhouette.

- C'est, heu... un animal qui... aime bien vivre au chaud.

- Et? le poussa doucement l'aspirale.

- Heu... Nous on l'aime bien... parce qu'il rapporte des sous! ajouta fièrement l'enfant.

- C'est tout? demanda presque déçue la prêtresse.

Il y eut un silence, et...

- Je sais! s'exclama le petit garçon. Les madames éléphant elles ont des mamelles!

- Formidable! s'écria Aïane tandis que son interlocuteur bombait le torse de fierté. Si on oublie que c'est exactement ce que je viens de dire, ajouta-t-elle alors que les rires fusaient à nouveau et que l'enfant se dégonflait comme un ballon de baudruche. Fin de la classe! annonça-t-elle finalement en rangeant ses affaires dans un sac en bandoulière.

Quelques âmes se dispersèrent mais beaucoup restèrent sur place pour parler entre elles ou pouvoir poser des questions à l'aspirale. Celle-ci chercha du regard le petit malin à l'éléphant et se dirigea vers lui lorsqu'elle le trouva dans l'humble foule. Quand elle fut à sa hauteur il grimaça.

- C'était pas la peine de m'afficher comme ça! lui repprocha-t-il ennuyé.

- L'ignorance n'est pas un défaut, Dorian, mais la bêtise est une faiblesse, répondit doucement la jeune fille. Et l'erreur est profitable.

Le garçon hocha lentement la tête mais l'aspirale voyait bien qu'il était toujours un peu déçu d'avoir été remis de cette façon à sa place.

- Hey, bonhomme, rigola-t-elle en levant la tête de l'enfant de sa main. Un jour, si tu écoutes bien, c'est toi qui épatera ces gens avec tes connaissances. Pour l'heure, être un apprenti attentif est un rôle tout à fait honnorable! Et puis tu sais, je suis fière que tu ais retenu, plus ou moins, la dernière leçon sur les plantes!

Le visage de Dorian s'éclaira et ses yeux retrouvèrent leur éclat.

- Un jour, moi aussi j'aurai tout le savoir du monde, hein?! s'exclama-t-il enthousiaste.

- Qui sait, qui sait... sourit la prêtresse en s'éloignant avec un signe d'au revoir.

Non sans difficultés, elle réussit à s'extirper des petites bandes qui réclamaient son attention et se lança à l'assaut des ruelles du quartier en espérant qu'elle retrouverait le chemin du retour. Mais après quelques minutes d'errance entre les maisonnettes, il advint qu'elle était belle et bien perdue. Dans un soupire, la jeune femme emprunta une petite rue sur sa droite. Plus ça allait, et plus le décors devenait sinistre. Elle n'avait jamais mis les pieds dans des endroits mal fâmés, tout comme elle n'est n'avait jamais eu peur. En fait, ils l'indifféraient un peu. Cependant, dans sa situation actuelle, elle commençait à regretter les artères bondées de la cité. L'endroit était trop silencieux, trop sombre.

Au détour d'un chemin, elle aperçut une ombre un peu plus loin. Elle n'hésita pas une seconde, oubliant qu'elle n'était peut être pas aussi en sureté qu'elle aimait le penser, et se dirigea vers l'incertaine silhouette.

- Excusez-moi? lui lança-t-elle.

HJ : J'espère que ça ira. XD


- Aaaah...

* Un soupir à peine perceptible qui frôle doucement des lèvres fines et blanches, un haussement d'épaules nonchalant et un léger coup d'oeil vers l'astre lumineux, astre qui déclinait d'ailleurs lentement dans le ciel d'Anthélima. Hum... A vue de nez, il devait être aux alentours de 17h40 ou tout du moins, un truc du genre. 17h40… Déjà ? Il était déjà si tard ?! *

- Aaaah…

* Nouveau soupir de la part de la petite silhouette encapuchonnée. Décidément, le temps passait si vite à Suria... Et cette journée s’était déroulée bien trop vite à son goût ! Pour une fois qu’il avait l’autorisation de quitter Eprona sans être obligé de filer par la petite porte et ainsi, de se risquer à déclancher une des colères légendaires et ô combien dévastatrices de Nathalia, il n’était pas satisfait. Il n’avait pas vraiment l’impression d’avoir profité au maximum de cette belle journée de liberté et la sensation d’inachevé le tiraillait depuis quelques longues minutes déjà… C’était pourtant si rare que la blonde accepte de le laisser quitter la cité sans faire d’histoires ! Car bien qu’il sache parfaitement que le comportement autoritaire de son Second tienne plus de l’affection et de l’inquiétude que de la malveillance à son égard, Ash ne pouvait s’empêcher de braver les interdits, encore et encore. Il faisait le mur, abandonnant ainsi la Cité d’Eprona et ses obligations de Boss, courant également le risque de se faire arrêter dans les rues de la capitale. Il m’était toujours Nathalia dans des colères noires mais qu’importe après tout ? Il avait besoin de bouger, de s’évader, de se retrouver seul avec lui-même et de se prouver encore et encore qu’il était libre, qu’il pouvait aller partout, là où bon lui semblait, malgré eux, malgré tout.

Regard sombre qui scrute lentement un ciel sans nuage. Yalè, yalè… C’était trop cruel. Le temps filait, toujours plus vite, refusant obstinément de l’attendre. Les minutes semblaient se faire aspirées par une bouche invisible, une par une, toujours plus vite. Les secondes courraient, accélérées par le petit vent frais d’une nuit tombant tout doucement sur les rues d’Anthélima.
Qu’avait-il fait aujourd’hui ? Pas grande chose en somme : il avait à peine eu le temps de faire une petite sieste bien méritée et de se promener un peu dans les différents quartiers de la capitale. Et puis… Et puis, il était aller faire un tour du côté de la place marchande aussi (une chose qui dans son cas, avec la foule qu’il y avait toujours au marché, relevait de la folie pure ou d’un comportement psychologiquement dérangé et sujet à de graves tendances suicidaires ! Mais bon, sur le coup de midi, il avait eu sacrément faim et comme il n’avait pas un sous en poche… - et dire qu'il était le Boss d'un des clans pirates les plus riches de Suria, c'était franchement pathétique ! Et puis bon, s’était bien connu : pour tous les estomacs en déroute, rien ne valait une petite escapade au marché, histoire de piquer une ou deux pommes bien rouges sur les étalages mal gardés des commerçants !). Et voilà, ni plus ni moins, une journée tout ce qu’il y a de plus banale et pourtant bien trop courte.

Et maintenant, voilà que le jour commençait déjà à décliner, laissant lentement sa place à la nuit et à son agitation luxurieuse… Agitation qu’il n’était d’ailleurs normalement pas sensé voir, vu qu’il avait en quelque sorte promis (et pourtant, rien que les sonorités menaçantes du mot lui écorchaient la bouche, c’est vous dire…) à Nathalia de rentrer à Eprona pour la nuit. Mais bon, ce n’était pas là une véritable promesse. Il lui avait juste répondu un petit « oui » distrait quand la jolie blonde lui avait demandé - que dis-je ? Ordonné ! - de rentrer à Eprona avant la nuit. Alors… Alors peut-être que sa parole ne serait pas salie s’il… hum, prolongeait sa virée jusqu’au lendemain matin ?
Ash avait pour principe de toujours tenir ses promesses. Il n’avait qu’une parole et celle-ci était d’or. Mais comme dans ce cas-ci, il n’avait pas réellement promis son retour… Et puis bon, au pire, il passerait la nuit à la belle étoile, dans un arbre ou sur un toit de la Cité Haute. Qu’est-ce qu’il risquait franchement ? Et puis ça ne le gênait pas plus que ça de devoir dormir dehors. Après tout, il avait l’habitude… *

- Excusez-moi ?

* Une voix claire et plutôt douce. Une voix sûre, inconsciente, aux inflexions chaudes et encore un peu juvénile. Une voix de femme.
Ash se crispa violement et s’immobilisa au beau milieu de la voie pavée, ne se retournant par pour autant vers l’inconnue qu’il savait pourtant s’adresser à lui, vu que la ruelle sombre où il déambulait depuis quelques minutes était déserte. Merde. La dernière fois, il s’était déjà fait courser par ces Sentinelles stupides et lâches, à cause du venin d’un quelconque miséreux avide. Pas qu’il se soit réellement inquiété pour son salut ou sa santé mais bon, le petit brun commençait à en avoir sérieusement marre de voir cette bande de babouins dégénérés débarquer avec leurs gros sabots et gâcher ainsi son plaisir. Alors… Que faire ? Décidant finalement de voir à quoi ressemblait son interlocuteur improvisé et d’aviser ensuite, Ash fit volte-face, les traits fins de son visage toujours dissimulés dans l’ombre de son capuchon.
Rapide coup d’œil. Analyse des données. Soupir ennuyé.
Merde. C’était une prêtresse… *

- Humpf.

La silhouette encapuchonnée s'arrêta dès que la voix clair de l'aspirale déchira le silence un peu angoissant de la ruelle. La jeune fille en profita pour continuer à combler les mètres qui la séparaient le l'inconnu ainsi que pour mieux l'examiner. A vrai dire, ce qui s'offrait à elle ne lui révélait pas grand chose. Ils devaient approximativement avoir la même taille, mais Aïane n'aurait pu commenter la corpulence de la personne dos à elle, car une partie du profil véritable de celle-ci était absorbée par le vêtement qu'elle portait. Mais cela n'arrêta pas la jeune prêtresse, si on l'agressait, ce dont elle doutait très, très fortement, elle pouvait toujours s'en sortir avec un Kekai bien senti. Ou pas.

Elle n'était plus très loin de son interlocuteur lorsque celui-ci se retourna, et l'aspirale ne put vraiment en apprendre plus sur lui - à part le fait qu'il semblait bien s'agir d'un homme - car son visage restait dans l'ombre mystérieuse procurée par sa capuche, et que sa réponse à son appostrophe ne fut qu'un glorieux "humpf".

- Excusez-moi, répéta la jeune fille sans vraiment s'en rendre compte. Est-ce que vous sauriez comment vous rendre au temple.. ou sur la Grand Place, s'il vous plait?

Elle hésita une seconde mais son habituelle locacité prit le dessus et elle ne put s'empêcher de continuer, même si elle ne savait absolument pas à qui elle s'adressait.

- En fait j'étais un peu plus loin pour donner des cours, et j'me souviens plus vraiment comment j'y suis arrivée. Donc... je me suis perdue en cherchant le chemin du retour, expliqua-t-elle à son interlocuteur qui n'en avait pas demandé autant mais c'était pas grave ça lui faisait plaisir.

Elle indiqua de la main un endroit incertain et rajusta la bandoulière de son sac. Il n'y avait rien de bien intéressant dedans, surtout des notes, des dessins et des livres, mais elle aurait quand même été bien ennuyée si il advenait qu'on le lui vole.

- En fait, j'aurais pu demander à un des enfants, réfléchit-elle à haute voix plus pour elle-même que pour l'inconnu. Mais bon.

Elle haussa les épaules.

- Tant pis.

Elle reposa son regard vert et marron sur la silhouette lui faisant face et laissa un silence passer. Mais finalement, n'y tenant plus, elle se sentit de nouveau obligée de faire une remarque.

- C'est pas très poli de dissimuler son visage à une personne qui ne le fait pas, commenta-t-elle à l'adresse de l'homme.

Elle se sentait un peu gênée d'être observée.. sans pouvoir examiner à son tour. Elle savait que certaines personnes désiraient passer inaperçues, mais il n'empêchait qu'elle ne voyait pas en quoi elle représentait une menace et... toute façon c'était loupé pour son interlocuteur vu qu'elle lui parlait. Elle ne pourrait pas le reconnaitre plus tard, certes.

- Excusez-moi. Est-ce que vous sauriez comment vous rendre au temple... ou sur la Grand Place, s'il vous plait ?

* Aaaaaah, mais pourquoi est-ce que ça n'arrivait qu'à lui ce genre de plans foireux ? Pourquoi diable est-ce que de tous les clodos, ivrognes et autres brutes sans cervelle qui traînaient jours comme nuits dans les quartiers mal famés d'Anthélima, il avait fallu qu'il tombe sur une prêtresse ? Et une prêtresse complètement paumée, par dessus le marcher ! Aaaaah... Agacé par la tournure que prenait la situation - et par la même occasion, sa promenade - Ash jeta un vague coup d'oeil à la jeune femme, haussant par la suite un sourcil dans un mouvement gracieux et invisible. A en juger par ses traits fins et en se basant sur son air désorienté - parce que bon, par la force des choses, habituellement, les prêtresses affichaient toujours un air digne, quelque soit la situation - Ash en déduit que la jeune femme qui se tenait devant lui n'était encore qu'une novice, une petite Aspirale imprudente et inexpérimentée. Et puis bon, elle s'était sacrément bien paumée l’apprentie magicienne au service des Dieux ! A force de marcher sans savoir où ses pas la menaient réellement, la jeune fille s'était profondément enfoncée dans la capitale, s'égarant dans la partie la moins fréquentable de la jolie ville. Et elle était à présent loin, très loin du temple d'Anthélima ! C’était malin… Et puis, franchement, qu’est-ce qu’elle foutait là ?

Petit regard ennuyé en direction de la jeune femme et nouveau soupir.
Aaaaah… En tout cas, si elle comptait regagner son temple avant la nuit, elle serait bien obligée de traverser la totalité des sales quartiers du coin.
Seule... Toute seule… Avec tous un tas de mecs dérangés (ou bourrés, au choix) qui traînaient dans les rues... C’était du suicide, tout simplement. Car même si à Suria les prêtresses étaient respectées, admirées, presque adulées par la population humaine comme elfique, même si une agression envers les servantes des Sept Déesses était gravement puni par la loi, oui malgré tout ça, dans les quartiers mal famés de la capitale, il y avait des gens désespérés, sans aucune moralité ou tout simplement cruels. C'était dangereux. Et encore plus si la concernée n'était encore qu'une petite aspirale... *

- En fait j'étais un peu plus loin pour donner des cours, et j'me souviens plus vraiment comment j'y suis arrivée. Donc... je me suis perdue en cherchant le chemin du retour.

* Ash arqua un sourcil, observant le visage lisse de la jeune femme avec un peu plus d’intérêt cette fois-ci. Tiens, elle était plutôt marrante celle-là ! Alors que lui était en train de se creuser la tête pour essayer de s’en débarrasser de la façon la plus efficace et rapide possible (c’est-à-dire sans qu’elle puisse le coller pendant des heures en babillant et en brassant l’air de son flot de paroles interrompu et surtout, sans qu’elle ne se fasse agresser dans un coin sombre), la jeune femme, elle, ne semblait pas préoccupée, se contentant de lui raconter le pourquoi du comment avec enthousiasme. C’était… bizarre, non ? Ne se rendait-elle donc vraiment pas compte de la situation inconfortable et dangereuse dans laquelle elle était allée se fourrer ? *

- En fait, j'aurais pu demander à un des enfants. Mais bon.

* Et voilà que maintenant, elle se mettait à parler toute seule. Décidemment, son cas devenait vraiment préoccupant. *

- Tant pis.

* Reconsidérant la silhouette fine et élégante de la jeune femme avec beaucoup plus d’attention qu’auparavant, Ash se mis à détailler cette étrange créature avec un intérêt grandissant, amusé par le comportement incongru de la prêtresse. Elle paraissait tellement confiante, insouciante… Une chose était sûre : soit elle avait une maîtrise d’elle-même plutôt impressionnante pour son rang, soit elle était complètement stupide. Au choix. Et alors que la jeune Aspirale ouvrait à nouveau la bouche pour parler, un petit sourire amusé et légèrement moqueur vint déformer les lèvres blanches d’Ash Ezo, pirate de l’air de son état, Boss du clan Ezo et criminel activement recherché par la moitié des forces de l’ordre que comptait Suria. *

- C'est pas très poli de dissimuler son visage à une personne qui ne le fait pas.
- Croyez-moi, vous ne voulez absolument pas voir ce qui se cache sous ce capuchon, répliqua-t-il d’une voix chaude, amusée et un peu rauque car c’était tout de même la première fois qu’il ouvrait la bouche aujourd’hui.

L'aspirale sonda un instant son interlocuteur des yeux. A vrai dire... il n'y avait rien à voir, si ce n'était la désagréable et mystérieuse ombre que projetait le capuchon sur le faciès de l'homme. Et la voix de celui-ci, sortie comme tout droit d'une grotte fermée au public durant des siècles, ne lui apportait pas grand chose.

- Si je n'voulais pas voir votre visage, je ne vous aurais pas fait cette remarque, répliqua Aïane sans toutes fois s'emporter.

Elle haussa les épaules pour montrer que cela ne la dérangeait cepandant pas plus. Si son interlocuteur ne désirait pas dévoiler son identité, soit, c'était son problème. Elle, elle désirait juste trouver le chemin du retour. D'ailleurs, à bien y repenser, l'inconnu n'avait pas vraiment répondu à sa requête. En fait, il n'avait pas répondu tout court à celle-ci, se contentant de s'exprimer uniquement pour conserver son anonyma. Donc il y tenait énormément.

- J'imagine que vous ne me donnerez pas votre nom, ni peut-être votre surnom, et encore moins vos occupations, commenta la jeune femme devant cette explicite mise à distance. Pourquoi pas. Mais ça veut dire que je vais devoir faire la conversation toute seule.

Ses doigts passèrent machinalement sur la fermeture du sac. Elle aimait parler, mais moyennement monologuer. Elle pouvait toujours se taire, mais le silence n'était pas véritablement son plus fervent ami. Les paroles de l'homme lui revinrent en mémoire. Ca n'était pas compliqué de les retenir vu qu'elles étaient d'une rareté désolante.

- Et puis je finirai bien par vous coller une étiquette, voir plusieurs, fit remarquer la jeune fille d'un ton égal. Puisque d'après vos dires... je vous connais, dans un sens négatif.

Son interlocuteur était il un renommé ennemi... de quoi? d'Etat? Possible. Ou une personne de sa connaissance qu'elle était censée ne pas apprécier? Peu probable, son affection ne connaissait pas vraiment de bornes et l'homme se serait sans doutes trahi en la tutoyant. Quoi d'autre? Un ivrogne honteux de son visage carmin? Non, son verbe aurait été moins articulé. Un tueur? Un brigand? Un pirate? Une personne de plus ou moins connue de la majorité des gens, en tous cas. Ou un opposant particulier de l'ordre des prêtresses? Non, sa classe ne semblait pas souffrir de ce genre de maux.

- A moins que vous ne dissimuliez une avilisante déformation? demanda Aïane avec tout le tact qui la caractérisait.

Puis l'aspirale secoua lentement la tête comme pour chasser ses spéculations et revint à son problème en vigueur. Qui avait un peu empiré, soit dit en passant. A présent, son estomac commençait à la tirailler et la faim se faisait sentir.

- En tous cas, cela ne m'avance pas plus. Qu'en est-il au sujet du temple et de la Grand Place? Est-ce que vous savez comment vous rendre à l'un de ces deux endroits? Et si oui, pourriez-vous m'y conduire, s'il vous plait?

- Si je n'voulais pas voir votre visage, je ne vous aurais pas fait cette remarque.

* Ash arqua un sourcil, amusé. Oh vraiment ? Elle voulait donc tellement savoir à qui elle parlait, qui lui faisait face, alors qu'elle se trouvait paumée en plein milieu des quartiers les plus mal famés d'Anthélima ? Elle était stupide ou quoi ? A sa place, Ash aurait rebroussé chemin depuis bien longtemps ! Et il aurait surtout fait bien attention de n'adresser la parole à personne, allant même jusqu'à regarder le sol pour être sûr de ne croiser aucuns regards inopportuns. Et dans ce cas-ci, ça n'aurait pas été un comportement faible ou encore de la lâcheté, non, c'était juste une question de bon sens et de sécurité.
"Si je n'voulais pas voir votre visage..." ? Pfff, elle était bien gentille la petite Aspirale mais il savait parfaitement que tout ce qui sortait sa jolie bouche n'était rien qu'une vaste rigolade, du vent, des paroles vides, creuses et franchement stupides. Car si on vantait partout la tolérance et « l'incroyable bonté » des prêtresses de Suria, Ash savait qu'en réalité il n'en était rien. Ce n'était qu'un tissu de tromperies, un gros mensonge écoeurant que tout le monde se bornait à croire. Certes, il ne fallait pas toutes les mettre dans le même sac, cela aurait été une erreur stupide, mais combien de fois le petit brun n'avait-il pas surpris leurs regards dégoûtés et emplis de crainte quand leurs beaux yeux maquillés se posaient sur lui et les siens ? Combien de fois n'avait-il pas entendu parler de pirates arrêtés et exécutés suite à une dénonciation faite par une des servantes des Sept Déesses. Elles prétendaient aimer tous les habitants de Suria sans exception mais Ash lui savait, il savait qu'il n'en était rien. Après tout, un pirate restait un pirate, un être vil et cruel… N'était-ce d'ailleurs pas là ce que le Grand Conseil se bornait à essayer de faire entrer dans le crâne du petit peuple ? S'il retirait son capuchon, Ash était pratiquement certain que l'Aspirale prendrait peur. Et si elle prenait peur, cela pourrait se révéler dangereux pour lui. Et puis... Pourquoi une prêtresse voudrait-elle l'aide d'un pirate ? *

- J'imagine que vous ne me donnerez pas votre nom, ni peut-être votre surnom, et encore moins vos occupations.

* C'est bien, elle commençait tout doucement à piger qu'il ne souhaitait pas subir un interrogatoire en règle, qu'il n'avait aucune envie de l'aider et que surtout, il ne lâcherait rien de compromettant concernant sa vie et son identité. *

- Pourquoi pas. Mais ça veut dire que je vais devoir faire la conversation toute seule.

* Grognement de la part de la silhouette encapuchonnée.
Aaaaah, qu'est-ce qu'elle était chiante celle-là ! C'était bien sa veine : de toutes les Aspirales et autres prêtresses d'Anthélima, il avait du tomber sur la plus bavarde et la plus collante. Décidément, lui qui détestait les prises de tête et les situations compliquées, il était servi ! *

- Et puis je finirai bien par vous coller une étiquette. Puisque d'après vos dires... je vous connais, dans un sens négatif.

* Mais bordel, ne pouvait-elle pas se taire cinq minutes ?
L'Aspirale devait très certainement être le genre de personnes qu'Ash détestait le plus sur cette terre... Enfin, peut-être pas le plus, mais elle devait très certainement être très bien classée sur l'échelle de « Qui me fait le plus chier ? By Ezo ». Et puis franchement, qu'est-ce qu'il en avait à faire qu'une petite prêtresse imprudente et bavarde lui colle une étiquette ? Des étiquettes c'était probablement ce qu'il possédait le plus… Car après tout, qui pouvait se vanter de connaître réellement le jeune Boss ? Pas grand monde... Et c'était très bien comme ça !
Par contre, ce qui était ennuyeux, c'était que la jeune femme ne semblait pas siiii stupide que ça. Elle était même drôlement éveillée et perspicace pour une si jeune personne... « Puisque d'après vos dires... je vous connais, dans un sens négatif », hein ? Sans réellement le savoir la jeune Aspirale avait mis le doigt sur le point sensible, la triste vérité du premier coup. Et c'était plutôt... ennuyeux. *

- A moins que vous ne dissimuliez une avilissante déformation ?

* Ash fronça légèrement les sourcils, reniflant avec dédain. Et puis quoi encore ? Maintenant elle insinuait qu'il était difforme et laid à un point tel que le capuchon en devait une chose obligatoire ! Non mais, elle allait continuer à l'insulter de la sorte pendant combien de temps encore ?! *

- En tous cas, cela ne m'avance pas plus. Qu'en est-il au sujet du temple et de la Grand Place ? Est-ce que vous savez comment vous rendre à l'un de ces deux endroits ? Et si oui, pourriez-vous m'y conduire, s'il vous plait ?

* Aaaah, elle était chiante. Mon Dieu, comme elle était chiante ! Comme s'il n'avait que ça à faire, franchement ! De plus, si jamais on apprenait que le grand Ezo avait passé trois plombes à escorter une petite Aspirale, il ne donnait pas cher de sa réputation de gros méchant. Et il n'était pas généreux au point de risquer de devenir la risée de toute la Confrérie pour les beaux yeux d'une jeune écervelée. Sans compter le fait que le temple était à l'exacte opposé de l'endroit où il avait décidé de se rendre pour passer sa soirée et sa nuit...
Arg, que devait-il faire donc ? *

- Vous me faites chier, vous le savez ça ? lâcha finalement Ash dans un long soupir blasé. Enfin... Pour répondre à votre question, oui je sais comment me rendre au Temple d'Anthélima, mais c'est loin.

* Il considéra la jeune femme d'un oeil critique pendant quelques secondes avant de soupirer à nouveau et de poursuivre sur sa lancée. *

- Franchement, on n'a idée d'aller se paumer si loin de chez soi ! Là, si voulez rentrer avant la nuit, vous allez être obligée de traverser tous les quartiers pourris du coin ! Vous rendez compte à quel point c'est stupide ? Vous tenez donc tant que ça à mourir étripée dans un coin ?

* Nouveau soupir. *

- Et puis franchement, c'est pas vraiment sur mon chemin là. Tout le monde n'a pas la chance de dormir dans un lit avec une couverture et des draps propres toutes les nuits, vous savez ! dit-il alors qu'il possédait lui-même la chambre d'un prince. J'dois me trouver un bon coin sur un toit quelconque pour passer la nuit, moi. Vous êtes sûre de vouloir rentrer ? Enfin... Je suppose que je n'ai pas le choix, je ne voudrais pas qu'il arrive quelque chose de fâcheux à une si jolie demoiselle.

* Il s'amusait. Comment la jeune femme allait-elle prendre ses paroles ? Allait-elle se mettre en colère, le gifler pour irrespect envers future prêtresse, se mettre à crier ? Tout l'intérêt du jeu se trouvait là, dans ce petit point d'interrogation pour le moins intriguant...
Et puis… Il avait mal à la gorge… Ca faisait un moment qu’il n’avait pas autant parler. *

Un grand sourire perfide se dessina sur les lèvres de l'aspirale.

- Maintenant que vous daignez être explicite, je le sais, répondit la jeune fille visiblement amusée.

Comment soutirer les propos fatidiques aux personnes d'une locacité aussi restreinte qu'une boîte d'allumettes en deux leçons par le professeur Aïane. Enerver les autres n'était pas véritablement son passe-temps favori, mais l'ennui profond de son interlocuteur particulier donnait à la scène un aspect comique que la jeune fille, haute de ses 17 années, ne pouvait s'empêcher d'observer. Et rien que pour tester les réactions de l'encapuchonné, elle aurait été prête à poursuivre sa lancée dans le commérage abusif... ou de se prêter au jeu de 'mademoiselle-l'aspirale-profondément-outrée-par-tant-d'impolitesse'. Parce que c'était ce à quoi il devait s'attendre, non?

Mais elle se retint au dernier moment de se lancer dans la périlleuse expédition captieuse, par égards pour l'homme lui faisant face. Parce que ce dernier, après avoir concentré tous ces efforts pour reprendre la parole sur une joyeuse note, continuait pour répondre à sa question. Ce qui était tout de même plus intéressant, et très sympatique de sa part après s'être autant faire languir. La jeune prêtresse songea qu'il devait être le genre de personne à aimer vivre reclu dans la solitude la plus complète, ou celui à attendre des autres des commentaires brefs et conscis tout en prenant son temps pour donner sa propre opinion. Un anachorète ou un meneur dans l'âme. Ou peut-être même les deux en même temps. Quoi qu'il en était, mieux vallait qu'elle ne le vexe pas trop si elle voulait arriver à bon port. Elle écarta donc de ses pensées la comédie qu'elle s'apprétait à jouer et porta son entière attention vers son interlocuteur.

Le temple était loin? Elle soupira. Elle s'en était doutée sans toutes fois se l'avouer. Après tant de temps d'errance dans les ruelles de la cité, tout d'abord pour trouver un coin où enseigner, puis pour retrouver son chemin, il était tout à fait normal que le domaine des prêtresse fut loin derrière elle. Les Déesses ne paraissaient pas être avec elle ce jour là. Ce qui confortait la désagréable idée qu'elle était dorénavant dépendante des connaissances des lieux de l'inconnu. Et de son bon vouloir, accessoirement. Parce que dans des zones aussi reculées, trouverait-elle une bonne âme pour la guider si son interlocuteur décidait de l'abandonner sur place? Aïane chassa ses doutes. Pourquoi s'en faire puisqu'elle n'en était encore pas là? Et puis le monde devait disposer de plus d'esprits bienveillants que malfaisants, non?

Bon, d'après la suite des propos de l'homme: non.

- Et pourquoi voudrait-on m'étriper? demanda l'aspirale incrédule. Je n'ai rien qui ait de la valeur, et si ces quartiers sont si pourris, alors leurs occupants sont sûrement plus occupés à chercher comment subvenir à leurs besoins plutôt qu'agresser tous les inconnus qui passent dans la rue.

Elle avait déjà eu vent des problèmes causés par ces sombres quartiers et leurs populations, cependant, elle avait du mal à croire que quelque chose pouvait lui arriver, alors qu'elle donnait ses cours pas si loin de là. Et puis, pourquoi s'en prendrait-on à elle alors qu'elle ne cherchait pas les ennuis? Sa présence même était-elle une offense aux locaux?

- Quand bien même c'est une bêtise, cela ne change rien au fait que je suis bel et bien là, continua la jeune fille.

Elle eut un sourire d'excuse.

- Et je pense que vous avez eu tout le loisir de l'appréhender.

Elle hésita un instant.

- Vous savez, vous n'êtes pas obligé de m'accompagner, vous pouvez simplement m'indiquer la direction à suivre, dit-elle remarquer intriguée par la tournure des propos de l'homme. Mais peut-être attendez-vous quelque chose en retour de votre aide? demanda-t-elle ironiquement.

Des yeux, elle fouillait le visage ombragé de son interlocuteur en quête d'un indice sur ses réactions, mais en vain. Le soleil déclinant ne l'aidait pas non plus.

- Ce qui serait tout à fait légitime, ajouta-t-elle d'un ton égal.

Récompenser ne lui posait aucun problème moral quel qu'il fut, et cela lui paraissait tout à fait normal, surtout envers une personne obligée de dormir sur les toits. Cependant, il y avait quelque chose qu'elle avait du mal à comprendre. L'inconnu devait se chercher un auvent comme couchette, alors en quoi cela le gênait-il de se diriger vers le temple? Il pouvait trouver son bonheur en chemin, non? Il l'avait bien précisé lui-même: "un toit quelconque". Alors.. avait-il quand même un coin préféré? Elle hésita un instant à lui poser des questions à ce sujet, puis opta pour autre chose.

- En fait, non. Je n'suis pas sûre de vouloir rentrer, répondit-elle finalement rajustant une énième fois la bandoulière de son sac. Je peux vous aider à chercher un coin pour dormir? Ou vous avez quelque chose d'autre de prévu avant?

- Maintenant que vous daignez être explicite, je le sais.

* A ces mots, Ash resta un instant interdit, détaillant avec surprise le grand sourire perfide qui se dessinait lentement sur les lèvres fines de l'Aspirale.
Elle... Elle était plutôt maligne dans son genre, finalement. Pas si stupide que ça en fin de comptes et bien plus rusée qu’on aurait pu le croire aux premiers abords... Et puis bon, elle avait de la répartie, ce qui ne gâchait rien.
Un grand sourire amusé se dessina donc doucement sur les lèvres blanches de brun, ses yeux sombres pétillants de malice sous l'ombre protectrice de son capuchon. Ash la détailla encore quelques minutes en silence, imprimant bien les traits fins de son visage dans sa mémoire, puis il éclata de rire. Comme ça, tout à coup, sans prévenir… Son rire aux inflexions chaudes et légèrement moqueuses résonna longtemps dans la petite ruelle sombre et sale de la capitale, semblant se répercuter contre les murs et illuminant les traits auparavant neutres de son visage. Incroyable, cette gamine était vraiment incroyable ! Cela faisait bien trois mois qu'il n'avait plus rit ainsi ou du moins, pas de si bon coeur. Car habituellement, les rires de Ash restaient faibles, presque craintifs. Ils étaient naturellement agressifs et un peu cruels sur les bords... Ils sonnaient toujours comme un trompette de victoire impitoyable, se résumant généralement à un ricanement perfide et méchant. Mais bon… Il était de bonne humeur aujourd'hui. Après tout, ce n'était pas tous les jours que son tyrannique Second acceptait de le laisser filer sans se mettre à hurler et à lui balancer des pots de fleurs à la figure ! Mais bon, cette douce humeur ne faisait pas tout et il était vrai que la petite Aspirale avait un certain cran pour son âge... Car elle devait avoir quoi, 17 ans ? 18 tout au plus ! Et pourtant, elle n'avait absolument pas froid aux yeux. Elle restait calme et digne malgré ses piques… C’était le genre de comportements que lui n’avait que dans les rares instants où il s’énervait vraiment, dans les moments où le Ash Ezo, Boss du Clan Ezo, était vraiment nécessaire à ses compagnons et à son clan. Et Ash aimait bien ça, c’était amusant à observer… Et puis bon, c'était tellement différent de l'autre cruche qu'il avait jadis rencontrée. Celle-là alors, c'était vraiment une plaie, aussi hypocrite que détestable, du genre à vous faire haïr l'ordre religieux en entier et sans la moindre exception ! *

- Et pourquoi voudrait-on m'étriper ? Je n'ai rien qui ait de la valeur, et si ces quartiers sont si pourris, alors leurs occupants sont sûrement plus occupés à chercher comment subvenir à leurs besoins plutôt qu'agresser tous les inconnus qui passent dans la rue.

* Hum ? Brusquement sorti des souvenirs dans lesquels il baignait depuis quelques petites minutes déjà, Ash grogna légèrement, chassant bien vite l’image ô combien horripilante d’une certaine Suivante de sa connaissance pour ensuite se reconcentrer sur l’Aspirale et sur ses paroles. *

- Pourquoi ? Et bien… Pour s’amuser, pour passer le temps, parce que l’agresseur est un vieil ivrogne agressif, un drogué en manque ou un pauvre bougre qui ne sait plus ce qu’il fait. Pour passer ses pulsions sexuelles et ensuite se débarrasser de la preuve du crime, aussi. Ou parce que certains pensent que les prêtresses sont couvertes d’or et que leur besace renferme des trésors. Vous savez, dans le coin, quand la nuit commence à tomber, y’a vraiment des gens dégénérés qui sortent. Et puis certain sont tellement pauvres et désespérés qu’ils n’hésiteraient pas à agresser une prêtresse, même si c’est terriblement puni par la loi…

* Il avait dit ça d’un air penseur, un peu amère et un peu perdu, haussant les épaules tout en parlant et s’adressant plus à lui-même qu’à la jeune Aspirale qui se tenait à ses côtés. Après tout, les prêtresses n’étaient pas sensée se balader dans le coin, se contentant généralement de dispenser leurs cours dans les quartiers populaires d’Anthélima. Elle ne voyait donc pas ce que la misère, la pauvreté, l’alcool et les drogues avaient fait de certaines personnes, les transformant peu à peu en de véritables déchets humains. C’était triste, mais dans les quartiers mal famés, il y avait énormément de déséquilibrés qui circulaient et c’était dangereux, quoiqu’elle puisse en penser. Et ça, Ash ne le savait que trop bien… *

- Quand bien même c'est une bêtise, cela ne change rien au fait que je suis bel et bien là.

* Haussement de sourcil imperceptible et petit sourire amusé. *

- Et je pense que vous avez eu tout le loisir de l'appréhender.
- En effet… répondit-il, ses lèvres blanches arquées en une petite moue ennuyée.
- Vous savez, vous n'êtes pas obligé de m'accompagner, vous pouvez simplement m'indiquer la direction à suivre. Mais peut-être attendez-vous quelque chose en retour de votre aide ?

* A nouveau, Ash fronça légèrement les sourcils, lui adressant cette fois-ci un regard charbonneux qu’elle ne pouvait malheureusement pas voir. Décidément, cette gamine n’avait de cesse de l’offenser. Franchement… Comme s’il faisait partie de tous ces miséreux sans dignité ni scrupules qui se montraient aussi dociles que de petits chiots, espérant ainsi obtenir quelques petites pièces ou un morceau de pain pouilleux en échange de leur obéissance stupide. Beaucoup de personnes vivaient dans la misère à Suria mais ces gens-là n’avaient aucune morale. Ils seraient près à vendre père et mère, allant même jusqu’à manger dans la main de ces garces de Sentinelle pour obtenir une récompense, aussi minable soit-elle. Bah, c’était tout bonnement écoeurant ! *

- Ce qui serait tout à fait légitime.
- Je n’ai absolument pas besoin de votre charité, répliqua-t-il d’un calme mais dur et extrêmement froid à la fois.

* Et alors qu’il s’apprêtait à tourner les talons et à la planter là - il ne voulait pas gâcher cette bonne humeur à cause d’une sale gamine ! - la jeune Aspirale parla à nouveau, le retenant ainsi juste avant qu’il ne fasse volte fasse. *

- En fait, non. Je n'suis pas sûre de vouloir rentrer. Je peux vous aider à chercher un coin pour dormir ? Ou vous avez quelque chose d'autre de prévu avant ?

* Légèrement étonné, Ash la scruta de ses yeux onyx un court instant, la tête légèrement penchée sur le côté à la manière d’un chiot. *

- …
- …
- Et bien… Connaissez-vous la Cité Haute, jeune demoiselle ? demanda-t-il avec un léger sourire, conscient que la jeune femme ne pouvait pas connaître cet endroit pour la simple et bonne raison qu’il était situé loin, très loin et à l’exacte opposé de son temple.

La Cité Haute? L'aspirale fouilla dans sa mémoire mais rien de particulier ne lui vint à l'esprit. Il lui semblait pourtant en avoir déjà entendu parler. Sans doutes en écoutant d'une oreille distraite les racontars en passant dans les rues d'Anthélima. Mais elle devait avouer ne rien connaître à ce sujet, de sa fonction à sa localisation.

- Et bien... non, répondit-elle sincèrement. C'est quoi? Et c'est où?

N'était-ce qu'une impression ou son interlocuteur, d'après le ton de sa voix, savait pertinemment qu'elle ne connaissait pas cette Cité Haute? Cela ne la dérangeait pas, mais... Une fois de plus, la jeune fille se remémora le début de la discussion. Chaque fois qu'elle avait été un peu vexante, l'homme avait pris la mouche. Que se fut au sujet de son physique ou de son honneur. Un sourire amusé se dessina sur les lèvres d'Aïane. L'inconnu lui faisant face était donc une personne avec un ego de taille, ou une jeune personne n'ayant pas l'expérience nécessaire pour déjouer son ironie coutumière. Ou un mélange des deux.

Néanmoins, était-il bien prudent d'accorder sa confiance au premier passant que l'on abordait? Parce que la jeune fille, pour avoir trempé dans le domaine du théâtre, savait à quel point certains personnages pouvaient exceller à la comédie, et se demandait donc si ses observations se fondaient sur le réel caractère de son interlocuteur ou sur une façade qu'il lui tendait. Et puis bon, l'endroit dont il lui parlait ne lui disait absolument rien. Etait-il raisonnable de lui accorder sa confiance?

Mmmm. Mais il avait été à deux doigts de la racompagner au temple et son rire lui avait paru tout ce qu'il y avait de plus franc. Non. Cet homme devait avoir bon fond. Comme toutes les personnes d'ailleurs, si on les prennait par le bon bout. Et puis, il l'avait mise en garde contre les dangers des ruelles mal famées. Que la jeune fille avait d'ailleurs du mal à accepter. Ce genre d'idées étant si étranger au monde dans lequel elle vivait, elle ne voyait pas comment on pouvait perdre ses moyens au point de devenir un véritable danger public. L'aspirale balaya ses doutes et ses inquiétudes. Elle était bien plus curieuse de découvrir de nouveaux horizons que de se remplir la tête de questions appelant à la prudence.

- C'est là-bas que vous habitez? demanda-t-elle à son interlocuteur.

Il devait se chercher un toit. Sans doutes son coin de prédilection était-il situé dans cette Cité Haute. Et puis... N'avait-il pas dit que le temple n'était pas vraiment sur son chemin? Donc si elle le suivait, il y avait de fortes chances qu'elle s'éloigne encore plus de sa propre demeure. Elle réfléchit un instant à son planning du lendemain. Sa matinée était libre, vu que la prêtresse chargée de lui faire cours avait été expédiée en cambrousse pour rapatrier une future apprentie. Et son après-midi devait être consacré aux révisions en vue de son prochain examen. Donc... elle pouvait se permettre d'aller se perdre un peu plus loin.

Son attention se reporta sur l'homme lui faisant face.

- C'est un endroit que tout le monde n'est pas censé connaître? Comme il vaut mieux que je ne sache pas qui vous êtes?

Parce que malgré ses études approfondies, elle ne voyait pas grand chose de ce qu'elle avait appris avec la Cité Haute qu'il avait mentionné. Donc soit elle n'appartenait pas à la classe requise pour avoir été renseignée à ce sujet, soit cette cité était aussi bien protégée des ragots de la population que le visage de son interlocuteur de sa propre vue. A moins qu'elle ait tout simplement loupé une des leçons qu'on lui avait attribuées. Ce qui était aussi fort probable.

- Et bien... non. C'est quoi ? Et c'est où ?

* Un grand sourire vint étirer les lèvres du petit brun, laissant ainsi apparaître une dentition presque parfaite et des canines étrangement pointues. Amusé par la situation, le jeune homme pencha à nouveau légèrement la tête sur le côté, à la manière d'un chiot. C'était mauvais… Tout doucement, sans qu'il ne s'en rende vraiment compte, le Jeu avait pris possession de son corps, comme appelé par les manières un peu ironiques de la jeune Aspirale. Car si Ash n'était pas quelqu'un de schizophrène à proprement parler, il n'en était tout de même pas très loin. Dans son entourage, certains pensaient naïvement que l'enveloppe charnelle du jeune chef était partagée entre différentes personnalités complètement indépendantes l'une de l'autre, mais c'était une grossière erreur que de penser ça. Car non, vraiment, ce n’était absolument pas ça le problème. Ash ne possédait pas plusieurs personnalités et était encore moins habité par des entités différentes, mais il était vrai que son caractère était trouble et plutôt instable. Au fil des années, sa personnalité était en fait devenue de plus en plus difficile à cerner et à comprendre, devenant d'un complexité qui relevait du casse-tête absurde. En effet, en grandissant, le brun s'était forgé une seule et unique personnalité mais une personnalité dotée de différentes facettes. Cinq, pour être plus précis.
Tout d’abord, il y avait donc le Ash habituel, celui qu’on apercevait toujours en tout premier lieu (sauf si on n’avait vraiment pas de chance…). C'était celui que tous sans exception étaient autorisés à voir. Le Calme, voilà comment se nommait cette première facette. Et quand il était habité par le Calme, Ash se révélait être une personne nonchalante et relativement paresseuse, quelqu’un d’insouciant et d’un peu puérile sur les bords mais qui restait au final, quelqu’un d’agréable. Généralement, ce Ash là paraissait paisiblement, agissant sans se soucier de ses responsabilités et ignorant en bloc les conseils qu’on lui donnait. Il encaissait les coups de Nathalia - le terrible Second du Clan Ezo - en geignant comme un gosse. Bien sûr, cette première facette avait des inconvénients mais d’une manière générale, cela restait son côté le plus doux (ou du moins, le moins flippant).
Ensuite, il y avait le Ash énervé ou plutôt, celui qui montrait le bout de son nez quand le brun sortait de ses gonds. Il était en fait plutôt rare de le voir apparaître car après tout, le flegme et la nonchalance du jeune Boss étaient devenus célèbres dans le milieu. Ainsi, cela n’arrivait que dans les rares moments où le brun perdait son sang-froid et où il pétait littéralement un câble, incapable de canaliser sa rage. Et si c’était la facette la plus effrayante du jeune homme, c’était également de loin la plus dangereuse de toutes. En effet, ce Ash là était violent, un peu sadique et surtout, dévastateur. Il agissait sous l’emprise de la rage et de la haine, n’ayant pour seul et unique but de détruire pour mieux protéger et se protéger. Dans ces moments-là, l’air semblait s’épaissir, devenant oppressant et lourd, comme chargé d’électricité, de tension négative… Dans ces moments-là, même les courageuses Sentinelles préféraient généralement battre en retraite plutôt que de subir la tempête de plein fouet. Car oui, ce Ash là avait tendance à se montrer… vraiment effrayant. De plus, s’il apparaissait, c’était généralement à cause d’un problème lié au clan et à ses compagnons (ou quand on lui parlait de Mana, aussi), ce qui augmentait encore l’impacte dévastateur de sa colère sur quiconque subissait ses foudres sans s’y préparer…

Ces deux facettes-là étaient les plus courantes chez le brun et c’était aussi généralement les deux seules facettes de sa personnalité qu’Ash acceptait de dévoiler au grand publique comme aux intimes. Le Calme et la Colère. Un équilibre. Ainsi, il n’aurait presque plus eu besoin des autres et pourtant… Pourtant Ash comptait encore trois autres facettes à sa personnalité déjà bien complexe : deux autres traits de caractères cachés qu’il ne dévoilait nulle part, jamais, scellant ainsi une partie de lui au plus profond de son être ainsi que la cinquième et dernière facette : le Jeu. Et ce soir, étrangement, c’était cette facette un peu enfantine qui s’exprimait soudain, dévoilant ainsi un Ash provocant et insondable, une personne instable qui extériorisait tout par une attitude un peu féline : joueuse et parfois cruelle, ne sachant pas vraiment comment agir… C’est donc tout naturellement qu’il répondit à l’Aspirale d’une voix chaude et d’un ton un peu espiègle. *

- Je m’en doutais, lança-t-il tranquillement.

* Après tout, comment pourrait-elle connaître ? C’était un endroit tellement éloigné du temple, situé à son exacte opposé - à l’ouest d’Anthélima. Et comme la capitale était une ville plutôt grande… C’était parfaitement logique mais un peu triste pour l’apprenti prêtresse, compte tenu de la beauté du lieu en question. La « Cité Haute » était en fait le nom d’un des vieux quartiers d’Anthélima. C’était un quartier populaire construit il y déjà bien longtemps sur une petite colline, premières constructions et point de départ d’une ville qui devint quelques années plus tard la capitale de Suria, s’étendant de plus en plus au fil des années. C’était un quartier modeste, mais quel quartier ! La Cité Haute, c’était le paradis du peuple. Car si la Haute aimait se pavaner dans d’immenses réserves de végétations luxuriantes qu’ils aimaient appeler « parcs », le petit peuple préférait lui flâner dans les rues pavées et sinueuses de ce vieux et noble quartier. Bien sûr, ce n’était pas le grand luxe, mais c’était un endroit charmant, apaisant, joli et très propre (car même les personnes les plus irrécupérables du peuple respectaient généralement ce petit coin de paradis). Et puis, comme le quartier avait été joyeusement bâti sur une colline, ce dernier était donc surélevé par rapport au reste d'Anthélima, offrant ainsi une vue sublime sur la célèbre capitale surienne. Oui, c’était certain, la Cité Haute était un des coins qu’Ash affectionnait le plus à Suria. Et puis bon, c’était un endroit plein de surprises et bourré de jolis coins et de cachettes en tous genres (chose qui était d’ailleurs plutôt pratique pour semer quelques poursuivants…), certains endroits n’étant même accessibles qu'avec des AT's ! *

- C'est là-bas que vous habitez ?

* Petit rire de la part du brun.
Et bien… Non, pas vraiment ! Mais il était vrai qu’enfant, Ash aurait vraiment adoré pouvoir habiter là-bas, pouvoir sortir et jouer dans la rue avec les autres gamins du coin. Mais bon, on ne pouvait pas tout avoir dans la vie… *

- Nan.

* C’est vrai, il n’habitait pas là. Et il avait pourtant une magnifique chambre digne d’un prince à Eprona mais… Quand il faisait le mur et quittait son royaume le temps d’une ou plusieurs nuits, Ash ne se risquait jamais à coucher à l’auberge, étant parfaitement conscient du danger que cela pourrait représenter pour sa vie. Alors il dormait dehors, dans un arbre, sur un gros rocher ou sur un toit. Cela ne le dérangeait pas vraiment - pas plus que la pluie, la neige et le froid d’ailleurs - car après tout, avant d’être devenu « Ash Ezo, Boss du Clan Ezo » et d’avoir bâti sa propre cité pirate, Ash avait du dormir dans les rues, enroulé dans de vieux cartons ou son un porche troué. La rue avait été sa mère, son alliée la plus fidèle tout comme une ennemie terrible. Il n’en avait pas peur et il savait ce que ça faisait d’être gelé jusqu’aux os, trempé et affamé, tout ça il ne le craignait plus depuis longtemps. Après tout, il n’était pas en sucre. Alors… Alors quand il ne passait pas la nuit à Eprona, il dormait dehors - comme à « l’ancienne » - couchant dans un arbre ou sur un toit, un toit de la Cité Haute, de préférence... *

- C'est un endroit que tout le monde n'est pas censé connaître ? Comme il vaut mieux que je ne sache pas qui vous êtes ?

* Léger rire de la part de Ash et regard taquin. *

- Non, pas du tout ! lança-t-il d’un ton joyeux, légèrement moqueur et un peu enfantin. En fait, c’est le nom d’un vieux quartier d’Anthélima, un quartier populaire. Mais il est… un peu spécial. Je vous y emmène ?

* Il avait murmuré cette dernière phrase, comme un enfant avouant un secret merveilleux, presque religieusement. Quand il était influencé par le Jeu, Ash avait tendance à agir bizarrement, comme s’il retombait dans l’enfance qu’il n’avait pas eue. Il était alors taquin et surtout, incroyablement inconscient. C’était une facette insouciante et moqueuse, une facette que Nathalia détestait par-dessus tout pour la simple et bonne raison que bien qu’elle soit relativement pénible (mais généralement inoffensive) pour autrui, elle était extrêmement dangereuse pour Ash, le poussant à agir spontanément, sans réfléchir… *

HJ : Arg, j'ai pas relu, alors j'espère que ça ira ! >__<'

[HJ: c'est impeccable ^^]


Il s'en doutait. Et elle s'en doutait qu'il s'en doutait. Niquel. Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres. Son interlocuteur était donc doté d'humour et de malice, ce qui n'était pas plus mal. Même si elle apréciait faire la conversation à tout le monde, il était quand même plus agréable de tenir compagnie à une personne ouverte qu'à quelqu'un de renfermé. Quoi que l'homme ne semblait pas non plus être d'une locacité phénoménale.

Bon, et il n'habitait pas non plus là-bas. Effectivement, s'il devait se chercher un toit pour la nuit, il devait difficilement posséder une propriété fixe. Sauf que ça n'était pas vraiment le sens véritable de sa question initiale, mais bon. De toutes façons, moins elle en savait sur lui, plus cela semblait être le mieux. Il n'empêchait que, si elle respectait ce silence, elle était tout de même intriguée par la personne de l'inconnu. Que faisait-il ici? Qui pouvait-il bien être? Une personne au physique connu mais devant trouver sa couche au petit bonheur la chance. Un bandit? Mais ces derniers n'étaient pas réputés pour leur bienveillance et l'homme lui faisant face lui paraissait tout ce qu'il y avait de plus abordable.

La surprise se peignit sur le visage de l'aspirale.

- Vraiment?

La jeune fille plissa légèrement les yeux en essayant de se remémorer ses courts de géographie de la période passée chez sa famille de sang. Depuis sa plus tendre enfance, elle avait du assimiler un grand nombre de choses, et il arrivait que les données qu'on l'avait forcée à ingurgiter se mélangent ou se perdent définitivement. Néanmoins, il lui semblait avoir quelques souvenirs des cours particuliers qu'elle avait suivis sur la cité d'Anthélima.

- Alors... ce doit-être à l'Ouest, non?

A l'exact opposé du temple, comme elle l'avait craint. Quoi d'autre?

- Aux alentours d'une colline? Le paysage doit valoir le coup!

Effectivement, elle ne s'était jamais aventurée aussi loin. En fait, dans la capitale elle n'avait jamais dépassé.. l'endroit où elle se trouvait actuellement. Dès son arrivée elle avait retrouvé les membres de sa famille et n'avait donc eu le loisir d'explorer la ville comme elle l'aurait voulu. Par la suite, sous la tutelle des O'Connor, on lui avait interdit de sortir seule. Autrement dit, elle était restée dans un périmètre relativement serré autour du domaine familial lors de son séjour dans la Haute Société. Et enfin, lorsqu'elle fut finalement acceptée au temple par l'ordre des prêtresses, son temps libre ne lui permit pas de se lancer dans des escapades trop poussées.

Un sourir ravi et reconnaissant effaça toute trace de surprise ou et concentration sur le visage de l'aspirale.

- J'aimerai bien. Que vous m'y emmeniez, répondit-t-elle d'un ton où pointait une visible curiosité et impatience grandissante.

Ouverte à toutes les expériences que son entourage lui proposait, elle se lançait naturellement dans toutes sortes d'expéditions sans trop se poser de questions ni se soucier des facteurs à risques. Hormis ceux en rapport à ses études d'aspirale. Elle en avait assez bavé pour obtenir la qualité de prêtresse, il était donc hors de question de la mettre en péril. Mais d'après son analyse précédente, quoi qu'un peu rapide peut-être, son statut ne risquait pas grand chose et elle savait que si son absence était remarquée, ses supérieures ne s'en formaliseraient guère. Ou juste un peu, lui valant simplement un interrogatoire d'une dizaine de minutes.

- S'il vous plait, rajouta-t-elle en songeant que si on lui avait administré des cours de bonne conduite ça n'était pas pour rien.

C'est alors qu'elle se dit que cette dernière parole était un peu déplacée, car le ton de son interlocuteur lui paraissait avoir changé. Oui, à bien y réfléchir, il était plus frivole et ne dégageait plus cette relative impression d'autorité mature. Ce qui confortait l'hypothèse que l'inconnu devait être un jeune homme entre le monde de l'adolescence et celui des adultes. Mais elle n'en était pas sûre et juger la personne lui faisant face sur ces quelques éléments lui semblait un peu léger. Cependant, si son interlocuteur correspondait à sa supposition, sachant qu'il était connu de manière négative populairement... se pouvait-il qu'il fut un pirate? Ou un gitan un peu trop intrépide? Mais en ce dernier cas, il n'errerait sans doutes pas seul.

La jeune fille préféra garder ses spéculations pour elle-même.

- Alors... ce doit être à l'Ouest, non ?

* Elle avait dit ça avec une petite moue ennuyée - presque imperceptible - arrachant ainsi un petit sourire au pirate. Elle était marrante cette fille… Et il le sentait, il le savait, elle était également incroyablement perspicace - ce qui pouvait d’ailleurs la rendre plutôt dangereuse pour quelqu’un comme lui qui refusait catégoriquement de porter préjudice à une prêtresse (c’était un de ses nombreux principes pas toujours très logiques). En effet, si elle découvrait sa réelle identité, il était mal. C’était risqué et… très intéressant. Il allait bien s’amuser ! Enfin, à condition que la dite prêtresse accepte de le suivre, bien entendu ! *

- Aux alentours d'une colline ? Le paysage doit valoir le coup !
- Oui… C’est un des plus beaux coins de la ville… Plus beau encore que les quartiers bourges…

* Ou du moins, ça l’était de son point de vue.
Oui, y avait pas à dire, la Cité Haute, c’était vraiment l’endroit qu’il préférait à Anthélima. C’était un coin tellement calme, simple, magique ! Là-bas, les étoiles semblaient plus proches, plus brillantes aussi… C’était comme si le quartier tout entier dégageait une énergie douce et positive, une sorte sérénité qui apaisait les cœurs, qui faisait qu’irrémédiablement, on se sentait mieux… De plus, c’était bien le seul quartier populaire qui était totalement épargné par les saletés et autres immondices qu’on trouvait habituellement dans les coins pauvres de la ville ! C’était bien simple : quoiqu’il puisse arriver cela restait propre, comme s’il s’agissait là d’un accord tactique entre tous les suriens résidant à Anthélima. Et puis bon, le vent y était doux et agréable, les arbres et la végétation semblaient toujours plus verts et en meilleure santé, comme s’ils étaient régénérés par ce havre intouchable. C’était agréable de dormir là-bas et généralement, Ash avait la paix, pouvant pour une fois dormir sur ses deux oreilles sans craindre un piège ou une attaque quelconque. La Cité Haute c’était bien, juste bien… *

- J'aimerai bien. Que vous m'y emmeniez, répondit finalement la jeune femme, d'un ton où pointaient une visible curiosité et une impatience grandissante.

* Cette réponse enthousiaste et les yeux brillants de curiosité de la jeune Aspirale arrachèrent un nouveau petit sourire amusé au Boss, un sourire léger étouffé par l’ombre que projetait le tissu noir de son capuchon sur son visage de porcelaine. Elle voulait qu’il l’y emmène ? Parfait. C’était tout simplement parfait ! En effet, bien qu’au départ Ash l’ait trouvée sacrément dérangeante, le jeune brun la voyait maintenant différemment - la jeune prêtresse suscitant un vif intérêt pour le Jeu. Oh, bien entendu, à cause d’elle, le programme bien huilé de sa soirée avait été complètement bouleversé et mis en pièces (lui qui comptait passer une soirée pénard à glandouiller sur un toit pour ensuite s’endormir à la belle étoile, c’était raté !) mais ça, le Jeu n’en avait que faire. En ce moment, la seule chose qui comptait réellement pour Ash était de s’amuser ! Alors, bien sûr, ce brusque et comportement changement d’attitude avait l’art d’en déconcerter plus d’un, suscitant peur comme intérêt et le faisant souvent passer pour un fou, mais Ash n’y pouvait en fait pas grand-chose. Les cinq facettes qui composaient sa personnalité se succédaient sans prévenir ni logique apparente, au gré de ses émotions et des évènements qui le touchaient au quotidien… *

- S'il vous plait, rajouta-t-elle ensuite plus doucement.

* Demandé si gentiment, il ne pouvait pas lui refuser ça, n’est-ce pas ? D’autant plus qu’au départ, c’était quand même lui qui le lui avait proposé… *

- Je peux vous y emmené mais… dans ce cas, vous ne rentrerez pas au Temple ce soir… répondit-il d’un ton nonchalant et posé.

* C’était vrai, Anthélima était une grande ville et la prêtresse n’aurait pas le temps de regagner son Temple avant la tombée de la nuit. Enfin, à moins qu’elle veuille absolument traverser la moitié de la ville et les quartiers malfamés seule et en pleine nuit - ce qui serait de l’inconscience pure voire une forme parfaitement stupide de suicide - bien évidement. Mais bon, après tout, si l’Aspirale tenait à mourir jeune et sans avoir atteint la vingtaine, ce n’était pas son problème. Lui, il se contenterait simplement de lui expliquer clairement la situation et de l’escorter à la Cité Haute si jamais sa curiosité la poussait à le suivre malgré tout (et même si cela signifiait devoir passer la nuit dehors ou dans une petite auberge du coin - quoique, la Cité Haute étant strictement composée d’habitations, la jeune demoiselle devrait encore marcher un petit moment avant de trouver un endroit décent où passer la nuit). Mais bon, à nouveau, ça ne serait là plus son problème…

Laissant la jeune femme méditer sur ses dernières paroles pour ensuite pouvoir prendre sa décision, Ash s’éloigna un peu, slalomant lentement sur les pavés noirs de crasse qui recouvraient la chaussée. Il faisait joué les roues de gomme de ses Air Trecks pour pouvoir continuer à avancer, malgré l’extrême lenteur du mouvement, flânant ainsi dans la rue assombrie par le jour qui déclinait déjà au loin. Allait-elle le suivre ou déciderait-elle de rentrer chez elle ? Telle était la question ! Et bien qu’au fond ça n’ait que peu d’importance pour le jeune Boss, Ash espérait tout de même que sa curiosité la pousserait vers lui, histoire de s’amuser un peu. Surtout que bon, il préférait sincèrement l’emmener à la Cité Haute avec lui (et faire d’une pierre deux coups) que de devoir se taper la traversée d’Anthélima pour raccompagner la demoiselle jusqu’à son temple (parce que bon, il se connaissait et stupide comme il était, il finirait par l’escorté - même si l’idée de jouer les nounous pour Aspirale l’ennuyait fortement, il aimait bien la jeune fille, elle avait du caractère, et il ne voulait pas la voir finir égorgée dans une rigole par un pauvre fou persuadé qu’elle était richissime et couverte de joyaux). Finalement, après quelques longues minutes d’attente silencieuse, Ash releva les yeux vers la jeune prêtresse et se rapprochant un peu, il lui murmura : *

- Alors… Vous venez avec moi ?

Un des plus beaux coins de la ville, hein? Mieux que les luxueux quartiers riches? C'était tout à fait probable. Lorsqu'elle y avait habité, la jeune fille n'avait pas vraiment eu l'occasion de faire de tourisme, mais ce qu'elle avait entrevu l'avait assez impressionnée. Même si, parfois, cela ressemblait plus à un grand étalage d'apparats. Manquait juste l'affiche promotionnelle "bienvenue au royaume du faste". Mais d'autres endroits, plus humbles, à la limite de l'austérité, l'avaient plus séduite. Certains recoins, qu'elle avait découverts en voyageant avec les Gitans, avaient bien des charmes sans se soucier d'une quelconque opulence.

- Je peux vous y emmener mais… dans ce cas, vous ne rentrerez pas au Temple ce soir…

Aïane haussa les épaules. Elle s'en doutait, qu'elle manquerait l'appel du soir. Mais bon, était-ce vraiment important? On s'inquiéterait peut-être de sa disparition, mais on ne la chercherait pas. Qui, à Anthélima, se risquerait à chercher une Aspirale en pleine nuit? Et puis, elle n'était pas si cruche que ça, elle savait bien servir des excuses à peu près plausibles lorsqu'on lui en demandait. Certes, les autres prêtresses n'étaient pas non plus nées de la dernières pluie, mais ce genre d'escapade sortait tellement de leur mode de pensée qu'elles se feraient un plaisir d'évacuer cette idée. Quoi qu'il en était, elle ne risquait pas sa place au temple.

- Je n'attends pas de cette visite qu'elle soit express, répondit la jeune fille en souriant. Et mes draps sauront se passer de ma présence, je vous assure. Quant à mes supérieures, elles ne poussent pas le sadisme aux corvées de nuit. D'ailleurs, je pense qu'elles seront bien trop occupées à vérifier, et revérifier, et rerevérifier, que leur vernis ne s'est pas écaillé, pour noter mon absence.

Laissant son interlocuteur s'écarter, elle en profita pour considérer, une énième fois les choix s'offrant à elle. Au fond, qu'est ce qui la poussait à suivre cet inconnu? Rentrer à cet heure-ci était tout aussi compliqué, même si elle sentait que le jeune homme la racompagnerait sans doutes. Mais n'est-ce pas plutôt, cette éternelle et irrépressible facette infantine et curieuse qui la poussait à agir de manière, presque, inconsidérée? Et alors, était-ce vraiment grave? Elle n'avait jamais que 18 ans, et toute la vie devant elle pour devenir une personne sérieuse.

Les yeux forêt tropicale de la jeune prêtresse balayèrent le sol sous les pieds de son interlocuteur faisant demi-tour. Oui, vraiment, réfléchir à ce genre de choses était d'un ennui considérable. Elle chassa donc ces pensées qui ne la mèneraient nul part, si ce n'est dans un cul-de-sac.

- Alors… Vous venez avec moi ?

L'aspirale releva les yeux et un sourire enthousiaste se dessina sur ses lèvres carmin.

- Bien sûr! Vous en doutiez?

Dans un élan naturel, elle happa ce qui lui semblait être le bras de l'inconnu et l'entraîna vers le chemin qu'il venait tout juste de rebrousser. En fait, elle ne connaissait absolument pas l'itinéraire à prendre pour se rendre en Cité Haute, même en considérant que c'était à l'Ouest, mais aller par là lui semblait être une excellente idée. Sans considérer, bien sûr que son sens de l'orientation était plus bas que le niveau de la mer.

- Puisqu'on va passer un peu de temps ensemble, ça serait quand même pas mal que j'puisse vous appeler par quelque chose.

De sa main libre elle rajusta une énième fois la bandoullière de son sac.

- A moins que "Bidule", ça n'vous dérange pas? On sait jamais, si on venait à être séparés et que j'ai besoin de vous?

Elle jeta un rapide coup d'oeil espiègle et curieux à son interlocuteur.

- Vous n'me laisseriez pas tomber, hein? S'il arrivait quelque chose.

Peut-être que si, en fait. Elle ne le connaissait pas, il ne la connaissait pas. Oui, mais bon, c'était sa faute aussi s'ils en étaient là, non? C'était lui qui lui avait proposé de se lancer dans les visites touristiques de nuit. Certes, elle n'avait pas fait grand chose pour démentir sa proposition, elle en était même enchantée.

- Mais il n'arrivera rien. Que pourrait-il arriver?

Elle leva les yeux au ciel qui, au loin, devenait de plus en plus encre de chine après être passé par un stade orangé. La nuit engloutirait bientôt la cité et la brise habituelle rafraichirait les rues qui, après une exposition prolongée au soleil, en avaient bien besoin.

- La nuit sera belle et les étoiles de la voûte céleste brilleront pour tous, fit Aïane en montrant du doigt le ciel. Sauf pour ceux qui resterons sous un toit, évidemment.

Il vallait mieux, parfois, afin de préserver sa santé mentale, ne pas trop chercher le mode de logique de la jeune fille. Elle-même devait avouer que, de temps à autres, elle ne savait pas vraiment pourquoi elle sortait tel ou tel commentaire. Quoi qu'il en était, elle était d'excellente humeur à l'idée d'explorer la ville et aurait même fait la conversation à un sourd. Qui, pour une fois, aurait bien eu de la chance.

- Maiiiiiiis, dites-moi, y a personne qui vous attend, au-moins? demanda soudain l'aspirale.

Ce qu'il lui avait, jusqu'à présent, dit, ne semblait pas montrer qu'il pouvait être désiré quelque part alors qu'il lui faisait - qu'elle lui faisait - la conversation. Mais peut-être certains de ses amis, ou de sa famille, comptaient le retrouver un peu plus tard? Au quel cas... elle ferait de nouvelles rencontres. S'immiscer dans la vie des autres ne lui posait pas vraiment de problème moral, en fait.

[ Arf, c'est nul, je suis désolée. >< ]


- Bien sûr ! Vous en doutiez ?

* Et bien… Oui, en fait. Après tout, la jeune fille était une prêtresse et même si ces dernières ne vivaient pas dans le luxe affriolant de la Haute Société, on ne pouvait pas nier que les disciples des Déesses de Suria vivaient bien - et très bien même - surtout quand il s’agissait d’un temple aussi important et fréquenté que celui d’Anthélima. D’autant plus que même si les aspirales étaient formées et instruites dés leurs plus jeunes âges, certaines d’entre elles devenaient tout de même de vraies garces en grandissant, aussi stupides que prétentieuses. Elles s’acquittaient des tâches glorieuses et laissaient de côté tout l’aspect généreux de leur rang, préférant cent fois traîner dans les jardins fleuris du temple que dans les rues sales de la ville, pour parler aux gens et dispenser leur savoir aux enfants. Certaines - pas toutes, heureusement - n’étaient en fait que de petites filles coquettes et prétentieuses qui ne pouvaient supporter l’idée de devoir passer la nuit dehors ou dans une auberge miteuse ne serait-ce qu’une seule fois dans leur vie. Et même si la prêtresse qui lui faisait en ce moment face en souriant doucement n’avait absolument pas l’air d’être ce genre de personnes, Ash préférait quand même la prévenir et être parfaitement sûr que la jeune femme ait bien compris dans quoi elle s’embarquait exactement. *

- Va savoir… répondit-il finalement avec un petit sourire mutin.

* Il haussa ensuite les épaules.
Et alors qu’il s’apprêtait doucement à se détourner d’elle pour entamer leur route, la jeune aspirale s’approcha de lui et dans un mouvement naturel et spontané, happa son bras, s’accrochant à lui avec un sans-gêne assez impressionnant. Se crispant violent à ce contact aussi inattendu que non désiré, Ash serra les dents, se faisant violence pour ne pas envoyer la jolie tête brune de la prêtresse aller rencontrer le mur d’en face. A vrai dire, tout Boss pirate qu’il était, Ash n’avait jamais beaucoup apprécié les contacts physiques. Etrangement, cela l’embarrassait et le mettait souvent horriblement mal à l’aise, sans qu’il ne puisse s’expliquer pourquoi. Peut-être était-ce du à son enfance ? Il est vrai qu’il était plutôt rare que sa mère le prenne dans ses bras pour le câliner et généralement, à l’époque, les seuls contacts physiques qu’Ash entretenait avec les gens se résumaient aux coups que les clients bourrés lui donnait. Enfin, bref, toujours est-il que le jeune homme ne put s’empêcher d’adresser un regard charbonneux à l’aspirale pendue à son bras. Malheureusement, loin d’avoir l’effet escompté, la prêtresse se contenta de l’ignorer en beauté et de l’entraîner à sa suite, partant d’un pas guilleret en direction de… l’Est. Ou autrement dit, à l’opposé même de l’endroit où ils avaient décidé de se rendre… Mais bon, la jeune femme avait l’air tellement joyeuse et enthousiaste que Ash décida finalement de garder le silence, se laissant entraîner dans la ruelle pavée avec un léger sourire, ses muscles se détendant peu à peu. Décidément, cette jeune fille était vraiment… intrigante. *

- Puisqu'on va passer un peu de temps ensemble, ça serait quand même pas mal que j'puisse vous appeler par quelque chose.

* De sa main libre elle rajusta une énième fois la bandoulière de son sac et de son côté, Ash la dirigea légèrement, l’air de rien, l’entraînant dans une petite ruelle sombre perpendiculaire à l’artère précédemment choisie par l’aspirale, tentant par là des les remettre sur le « droit chemin ». *

- A moins que « Bidule », ça n'vous dérange pas ? On sait jamais, si on venait à être séparés et que j'ai besoin de vous ?

* Elle lui jeta un rapide coup d'oeil espiègle et curieux, coup d’œil qu’Ash ignora royalement, trop occupé à rejoindre le chemin qui les conduirait lentement mais sûrement à la Cité Haute. Une fois sa tâche discrètement accomplie, le brun reporta son attention sur la jeune femme qui marchait tranquillement à ses côtés et tenta de se remémorer de ses précédentes paroles. « Vous appeler par quelque chose »… hein ? Merde. Double merde. Devait-il se contenter de l’ignorer ou bien lui répondre ? Quoique, après réflexion, le brun n’avait plus envie que ça que la prêtresse l’appelle « Bidule » ou encore « Machin »… Mais alors… ? Devait-il s’inventer un nom de circonstance ? Après tout, il avait déjà pu constater à quel point l’aspirale pouvait se montrer perspicace et puis bon, Ash n’était pas sans savoir qu’il était déjà assez louche habillé comme ça - et surtout une fois sorti des quartiers malfamés d’Anthélima… Alors… que faire ?! Finalement, après un long soupir agacé, Ash décida de ne pas se compliquer la vie et de répondre d’un ton neutre : *

- Ash…

* En espérant que le caractère improbable de leur situation calmerait la nature un peu trop curieuse et perspicace de la jeune prêtresse… *

- Vous n'me laisseriez pas tomber, hein ? S'il arrivait quelque chose.
- Hn.

* Il ne répondait pas vraiment à sa question mutine, tout comme il ne l’écoutait pas vraiment non plus, en fait. A vrai dire, Ash avait vraiment horreur de voir les gens se faire tuer sous ses yeux si cela n’était pas fait selon sa seule volonté et donc, bien évidemment, il ne la « lasserait pas tomber » ou du moins, il l’aiderait en cas de pépin. Enfin, de toute façon, ce n’était pas vraiment comme si elle risquait quoique ce soit à présent… *

- Mais il n'arrivera rien. Que pourrait-il arriver ?
- …

* Le frottement des roues de gomme de ses AT’s retentit un peu plus fort dans la rue lorsque l’étrange duo tourna à l’angle de la rue, poursuivant tranquillement leur petit périple nocturne. En y repensant, c’était plutôt vexant pour lui, de se balader aux côté de la jeune femme car sans la hauteur de sa paire d’Air Treck en plus, Ash aurait été plus petit que l’aspirale… Plus petit qu’une fille… Arf, c’était d’un humiliant ! *

- La nuit sera belle et les étoiles de la voûte céleste brilleront pour tous, lança ensuite la prêtresse en montrant du doigt le ciel. Sauf pour ceux qui resterons sous un toit, évidemment.
- …

* Mon Dieu, qu’est-ce que cette gamine pouvait être bavarde ! C’était d’un agaçant - vraiment. Ne pouvait-elle donc pas se taire cinq minutes, histoire qu’il puisse enfin reposer ses tympans mis à mal quelques heures plus tôt par la voix « mélodieuse » de Nathalia. Et, finalement, après lui avoir lancé une œillade agacée, Ash avait décidé de l’ignorer à nouveau, se contentant de la guider en silence dans le dédalle des rues. *

- Maiiiiiiis, dites-moi, y a personne qui vous attend, au moins ?

* Grrrr, mais bordel, ne pouvait donc vraiment pas se taire plus de 30 secondes ?! *

- Vous êtes bruyante. Cela ne vous arrive-t-il donc jamais de vous taire ? grommela-t-il finalement, sa patience ayant déjà atteint sa limite.

* Nouveau soupir. *

- Nan, personne ne m’attend. Quand je viens traîner à Anthélima, je passe toujours mes journées et mes nuits seul. Enfin, sauf quand y’a quelques gêneurs pour s’incruster et bousiller mes plans, évidement, poursuivit-il en soupirant légèrement, ne pouvant pas s’empêcher de lui lancer un coup d’œil appuyé - même si bon, en fin de comptes, il était à l’origine de cette petite escapade. Enfin… Parfois, y’a un chat qui squatte mon arbre ou mon toit. Un truc dégarni et vachement moche, mais bon, j’ai beau essayer de le virer il revient toujours…

* A nouveau, Ash haussa les épaules, comme pour accentuer le caractère fataliste de sa situation. A vrai dire, la plupart du temps, quand il arrivait à échapper à la surveillance de Nathalia pour aller traîner dans les rues de la capitale, le jeune Boss se retrouvait toujours avec des gêneurs sur les bras. C’était comme s’il attirait aussi bien les gens que les problèmes, une vraie malédiction. D’ailleurs, la meilleure preuve de cette misère était ce chat, qui venait de temps en temps squatter ses coins préférés, se collant à lui le temps d’une nuit. C’était chiant… *

La jeune aspirale marchait d'un pas enthousiaste, essayant de prendre en compte, au mieux qu'elle pouvait, les indications corporelles de l'inconnu. Elle était le moteur, il était la tête. Il savait comment se rendre à la Cité Haute, il était donc légitime et normal qu'il soit le guide. Cependant, l'optimisme insouciant qui l'animait avait fâcheuse tendance à inhiber sa perception normale du réel. Elle évoluait comme dans un rêve, s'accrochant à tout ce qui défilait autour d'elle sans toutefois en garder une trace indélébile au fond de sa mémoire.

C'était presque à peine si la signifiante contraction de l'inconnu, lorsqu'elle avait saisit son bras, l'avait interpellée. Bien sûr, en bonne curieuse qu'elle était, elle avait notifié la raideur de son guide à cet excès de familiarité, mais elle était loin, très loin, de s'en formaliser. La pensée que parcourir les rues d'Anthélima bras-dessus bras-dessous ne pouvait convenir à tout le monde et conduire à de malheureux incidents, n'avait fait qu'effleurer son esprit le temps d'une fraction de seconde.

Elle allait pondre à son interlocuteur un nom préparé maison quand ce dernier se donna enfin la peine d'ouvrir la bouche pour lui répondre franchement. "Ash". Presque surprise d'avoir obtenu une réaction de la part de l'inconnu, l'aspirale mit un certain temps à se reprendre.

- "H"? Comme la 8ème lettre de l'alphabet? C'est bizarre comme nom.

C'était court, c'était un peu sec. Mais au moins, c'était plutôt facile à écrire et à retenir. La jeune fille n'avait pas l'habitude de déblatérer sur les prénoms qui arrivaient à ses oreilles, même si tout ce qui l'atteignait finissait plus ou moins sujet de son attention versatile. Cependant, le fait que la locacité de l'inconnu soit plutôt restreinte rendait chacun de ses propos aussi attractif et captivant. Tout comme chaque information à son sujet.

- Vous êtes bruyante. Cela ne vous arrive-t-il donc jamais de vous taire ?

- Heuuuuu...

Plus amusée et surprise que contrariée, Aïane chercha dans le fin fond de sa mémoire si une telle occasion s'était déjà présentée. Et il fallait avouer... Qu'elle était décidemment bavarde. Le soupir appuyant les paroles d'Ash dessina un sourire moqueur sur les lèvres de la prêtresse.

- Nan, personne ne m’attend. Quand je viens traîner à Anthélima, je passe toujours mes journées et mes nuits seul. Enfin, sauf quand y’a quelques gêneurs pour s’incruster et bousiller mes plans, évidement. Enfin… Parfois, y’a un chat qui squatte mon arbre ou mon toit. Un truc dégarni et vachement moche, mais bon, j’ai beau essayer de le virer il revient toujours…

Mmmm. Devait-elle se sentir visée? ... Et offusquée?

- Donc vous ne vivez pas vraiment ici, d'habitude?

A l'origine elle avait voulu rebondir sur les remarques d'Ash à son sujet, mais son attention avait été détournée sur d'autres points des propos de l'homme. Son esprit avait du mal à se focaliser sur.. plusieurs sujets à la fois. C'était une véritable girouette lorsqu'elle ne faisait aucuns efforts.

- Les chats s'attachent à ce qui est fondalementalement bon, commenta Aïane. Ou gentil. Parce que c'est de ces personnes qu'ils sont le plus susceptibles de recevoir des caresses. Des âmes solitaires, surtout, afin d'être le centre principal d'attention.

La jeune aspirale tourna la tête vers son interlocuteur.

- Que faîtes-vous donc, quand vous êtes seul?

- « H » ? Comme la 8ème lettre de l'alphabet ? C'est bizarre comme nom.

* En entendant cette réplique pour le moins incongrue, le jeune Boss resta interdit un long moment, les yeux écarquillés et la bouche entrouverte tant il ne s’attendait pas du tout à une telle réponse de la part de l’Aspirale. Puis, une fois la surprise passée, le jeune homme éclata d’un petit rire légèrement hésitant mais néanmoins amusé. Il riait, tout simplement. Après tout, la jeune femme semblait à des lunes de découvrir sa véritable identité et comme elle était également d’une compagnie plutôt sympathique, pourquoi ne pas se laisser aller ? Se relâcher, un peu, juste pour cette fois… D’autant plus que dans sa petite tête, le tout était à présent méchamment influencé par les caprices puériles du « Jeu », cette agaçant et enfantine partie de lui qui, dés lors, avait repris ses droits. *

- Et bien… Ouai, ça se prononce de la même manière… Mais bon, j’m’appelle pas « H », je ne suis pas une stupide lettre d’alphabet, moi ! ronchonna-t-il sur le ton boudeur que prennent parfois les enfants, quand leurs parents n’ont pas cédé à un de leurs nombreux caprices. Moi, c’est « Ash ». A-S-H. Et ça n’a absolument rien d’étrange !

* Haussement d’épaules désintéressé et léger bâillement ennuyé : décidément, quoiqu’il puisse lui dire, il n’arrivait pas à la vexer ! Et puis… quelle drôle de créature, vraiment… C’était comme si ses paroles - parfois imprégnées d’un léger venin - glissaient sur sa personne comme de l’eau de source, n’emportant avec elles qu’un mince sourire teinté d’amusement. Et, ans un sens, c’était plutôt agaçant. C’est vrai quoi ! Elle arrivait bien à le froisser alors pourquoi diable cela ne marchait-il pas dans le sens inverse ? *

- Donc, vous ne vivez pas vraiment ici, d'habitude ?
- …

* Hmpf. Elle et ses questions. Elle et ses bavardages incessants ! C’était d’un pénible ! Et le pire, c’était que mine de rien, elle était plutôt habile la petite Aspirale ! Avec son air perpétuellement enthousiaste et ses sourires un peu trop enfantins pour être honnêtes (d’ailleurs, c’était fou comme ils semblaient toujours emplis d’une joie sincère et de malice !), avec sa bonne humeur et ses grands yeux vert-marron plein d’innocence, on avait tôt fait de s’apaiser, relâchant son attention et sa méfiance. Hey, c’est qu’on lui donnerait presque les Déesses sans confession à cette charmante jeune femme ! Mais détrompez-vous ! Car malgré les apparences angéliques de la prêtresse, se relâcher en sa présence était une grossière erreur ! Parce que voyez-vous, cette charmante demoiselle était, apparemment, loin d’être stupide. Et comme pour corser encore l’affaire, elle était également une fine observatrice - c’est fou comme elle avait l’art de ne retenir que les petits détails, les semi informations qu’on laissait parfois échapper par mégarde… - en plus d’être un peu trop perspicace pour son propre bien. Bref, en résumé, la jeune femme était dotée d’une personnalité intéressante - voire même plutôt attrayante - aux yeux du pirate, ce qui ne l’empêchait malheureusement pas de faire partie de ces personnes qu’Ash aimait cataloguer dans la catégorie des gens « vraiment chiants ». *

- Hmpf. Nan, pas exactement… consentit-il finalement à répondre puisque de toute façon, il était déjà grillé.

* Une légèrement pression orientée sur le bras de la demoiselle et les voilà tout deux engouffrés dans une minuscule ruelle transversale ! C’était étroit, sombre et pas franchement très propre mais c’était également un sacré bon raccourci pour tous habitués du coin. Ainsi, se détachant légèrement de la jeune femme qui s’agrippait toujours fermement à son bras, Ash entreprit d’ouvrir la marche, sa main droite égarée dans son dos pour enserrer presque timidement celle de l’Aspirale. Arf, que c’était humiliant… Mais bon, la jeune femme semblait tellement contente de s’accrocher à son bras comme la dernière des sangsues, il n’allait tout de même pas… Enfin, vous voyez quoi… Non ? Et bien, tant pis ! Enfin bref, toujours est-il qu’il lui tenait la main, un peu - mais bon, c’était juste pour la guider… N’est-ce pas ? *

- Les chats s'attachent à ce qui est fondamentalement bon, commenta soudain la jeune femme, alors qu’ils avaient regagné une ruelle de taille décente. Ou gentil. Parce que c'est de ces personnes qu'ils sont le plus susceptibles de recevoir des caresses. Des âmes solitaires, surtout, afin d'être le centre principal d'attention.

* Grognement mécontent de la part du brun. A vrai dire, cela ne lui plaisait pas plus que ça d’être qualifié de « fondamentalement bon » encore de « gentil » car au fond, il savait très bien qu’il n’était rien de tout cela. De plus, étant un pirate - et un méchant pirate qui plus est ! - et surtout, étant « Ash », il avait toujours trouvé gênant qu’on lui attribue une gentillesse stupide - et inexistante, entendons-nous bien ! En quelques sortes, c’était un peu humiliant… *

- Que faîtes-vous donc, quand vous êtes seul ?

* Léger sourire amusé sur les lèvres blanches. *

- Vous êtes bien curieuse… Pensez-vous vraiment qu’il s’agisse là d’une chose qui vous regarde ? lança-t-il d’un ton taquin, ses yeux noirs pétillant d’une malice toute neuve.

* Tiens, il venait de le remarquer mais les seules personnes qu'il vouvoyait à Suria, c'était les prêtresses. *

[HRP: désolée pour le temps d'attente T.T ça devient un peu dur avec les cours -.-'']

A-S-H ? Pas étrange ? Okay, s’il le disait ! Oui, c’était une autre caractéristique plutôt navrante – parmi beaucoup déjà – de la jeune fille : croire tout ce qu’on lui disait avec candeur. Ce qui ne l’empêchait pas, malgré tout, et malheureusement pour ses interlocuteurs, de poser des questions sur la plupart des informations, erronées ou non, mises à sa disposition. Enfin bon, se tourner et retourner l’esprit au sujet d’un simple prénom n’était pas forcément ce qu’il y avait de plus intéressant, de plus constructif. Quoi que.

- Ah, d’accord. En tous cas, on peut difficilement faire plus court ! Vos parents ont, ou avaient, le sens pratique, les prénoms à rallonges ne sont pas vraiment une bonne chose.

Sa propre nomination, originelle, était à se taper la tête contre les murs. Et même si ça n’était qu’un détail, elle aurait préféré s’être vue attribuée un prénom d’une longueur humble, plus facile à caser dans l’entête de ses copies de rédaction. Enfin, à présent… L’affaire était réglée. Ou presque.

Elle reporta son attention sur la question des lieux de fréquentation de l’inconnu plus trop inconnu. Qui, comme à son habitude, esquissée après quelques minutes de conversation seulement, ne s’était pas étendu en palabres sur le sujet. Mmmm. Comme si ça allait la satisfaire ! Oh non, il ne s’en sortirait pas comme ça ! … Mais il s’en doutait peut-être déjà…

Elle ouvrit la bouche pour poser une énième question quand, au détour d’une ruelle un peu plus sale que les autres, leur interface bras-bras changea pour devenir main-main. A vrai dire, elle était assez étonnée d’une telle initiative de la part de son guide qui ne paraissait pas être très entreprenant, mais, pour une fois, n’émit pas de commentaires. Juste un sourire reconnaissant. C’était quand même plus pratique ainsi, il fallait l’avouer. Et si elle avait vaguement l’impression de jouer les enfants ainsi promenée à travers le dédale des rues, ce qui était probablement partiellement vrai, elle ne s’en formalisait pas plus que ça.

Bien que la pression des doigts de l’homme fut loin d’être appuyée, la douceur et la chaleur de la peau de celui-ci la conduisit à observer un peu plus attentivement, si c’était possible, la silhouette encapuchonnée. A bien y réfléchir, sans ses Air Treck roulant presque sans bruit sur les pavés, Ash aurait été, sans doutes, légèrement plus petit qu’elle. Et vu le ton de sa voix…

- Vous êtes pas un peu jeune pour traîner dans les rues à ces heures-ci ?

Ca ressemblait vaguement à ‘l’hôpital se moque de la charité’, mais l’Aspirale avait fâcheuse tendance à oublier sa propre condition lorsque sa curiosité prenait le dessus. C’était à dire, presque à peu près tout le temps.

En parlant de curiosité, il semblait que son guide avait enfin remarqué son inclinaison à fourrer son petit nez partout où elle le pouvait. En fait, il était plus probable qu’il l’eut deviné depuis bien longtemps, ça n’était pas très difficile, mais c’était la première fois qu’il la mentionnait. Et à juste titre, il fallait bien l’avouer. Même la jeune Aspirale était capable de dire qu’elle était allée plutôt loin dans son interrogatoire. Mais elle n’était pas encore capable de réfréner son côté ‘touche à tout, et surtout ce qui ne me concerne pas’.

- La curiosité est l’un des premiers facteurs des liens sociaux, répondit Aïane en haussant évasivement les épaules. Sait-on jamais, peut-être avons-nous des occupations communes ?

Comme se balader le soir dans les ruelles ténébreuses d’Anthélima. Mais c’était probablement la seule et unique chose qu’ils avaient en commun.

- Et puis, peut-être désirez-vous vous affairez à ses ‘occupations’ en dépit de ma présence… au quel cas cela me concerne un peu, non ?

En fait, à bien y réfléchir, il n’y avait pas de véritable raison à la question que venait de détourner Ash. Elle était juste… curieuse. Intéressée. Sa soif de connaissances ne se bornait pas à au domaine strict de l’enseignement, elle allait bien plus loin. Ce qui la rendait dérangeante. Bien sûr, il arrivait à l’apprentie prêtresse de remettre son comportement impulsif et expansif en cause, mais jamais bien longtemps. Sa nature était telle qu’elle oubliait rapidement ses propres problèmes pour se tourner vers son entourage, à nouveau, le sourire aux lèvres. La curiosité, à nouveau. Doublée d’un optimisme proche de la bêtise.

- En fait… ça ne me concerne peut-être pas. Sûrement pas. Mais il n’empêche que j’aimerai bien savoir ! finit par lâcher l’Aspirale avec sa franchise et son manque de tact habituel.

Un éclair de lucidité lui traversa l’esprit.

- Mais, heu… Elles vous dérangent ces questions ?

Le ton était légèrement penaud. Elle ne tenait pas, non plus, à se mettre à dos la seule personne susceptible de la ramener au temple d’Anthélima. Les pulsions suicidaires avaient leurs heures, et elles étaient passées. Ou pas.

- Vous avez quelque chose à cacher ?

- Ah, d’accord. En tous cas, on peut difficilement faire plus court ! Vos parents ont, ou avaient, le sens pratique, les prénoms à rallonges ne sont pas vraiment une bonne chose.

- Hum… ? Oh… Ouai.

Enfin, plutôt « bof » que « ouai », en fait. A vrai dire, que son prénom soit long ou court, cela n’avait que très peu d’importance pour Ash. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il n’avait jamais su trop quoi en penser et que, parfois, il lui arrivait de se dire que ce prénom était franchement merdique. Enfin… Pas merdique mais le petit brun aurait bien aimé être baptisé autrement, avoir une identité propre, un prénom rien qu’à lui, quelque chose auquel sa mère aurait longuement réfléchi avant de trancher. Enfin, ne soyons pas trop gourmant : il y avait des gens qui ne pouvaient même pas se vanter d’avoir un prénom sur lequel râler ! Et puis bon, malgré tout, ce n’était pas si moche « Ash »… Le problème, c’était juste que… que sur ce coup-là, sa mère ne s’était pas franchement foulée. « Asheylhara », c’était son nom. Et pour baptiser son premier enfant, son unique fils, elle s’était contentée de reprendre les trois premières lettres de son propre prénom, sans chercher plus loin ! Pas très original, n’est-ce pas ? Et puis bon, pas très sympathique non plus… A vrai dire, ça montrait bien à quel point elle avait toujours été loin de lui : même le jour de sa naissance, de sa venue au monde, elle n’avait pensé qu’à elle ! Quand, pour la toute première fois, elle avait posé ses grands yeux noirs sur son petit corps de nouveau-né, Asheylhara n’avait pas vu un enfant ni même un fils, elle avait vu un souvenir, une sorte de… de trophée qui dès lors, lui appartiendrait corps et âme. Alors bon… Comment aimer son prénom tout en sachant cela ? C’était difficile… mais pas impossible. Après tout, jusqu’à l’âge de 13 ou 14 ans, Ash avait chéri son prénom car c’était la seule et unique chose qui le rattachait à sa mère, à cette femme qui était liée à lui par le sang, celle même qui était sa seule famille. Asheylhara… Dans « Asheylhara », il y avait « Ash ». Par ces trois petites lettres, il faisait partie d’elle comme elle faisait partie de lui, quoiqu’on puisse en dire. Et il était fier, si fier de porter ce prénom ! C’était comme si sa mère avait voulu, rien qu’avec un simple et stupide prénom, lui prouver son amour, le garder près d’elle à jamais ! … C’était une véritable preuve d’amour maternel, n’est-ce pas ?! Mais bon, il s’était vite désillusionné… Avec l’âge, un peu de logique et de recule (et surtout, en tenant compte de l’égoïsme prononcé de sa génitrice), Ash en était arrivé à une toute autre conclusion qui était cette fois, beaucoup moins romantique…

- Vous êtes pas un peu jeune pour traîner dans les rues à ces heures-ci ?

Hein ?!
…
Humpf. … Elle cherchait la bagarre ou quoi ?! C’est bon, pas besoin d’en rajouter, il était parfaitement conscient d’avoir hérité d’une taille ridiculement petite (le premier qui fait mine d’articuler le mot « nain » pouvait d’hors et déjà commencer à creuser sa tombe !) pour un homme ! C’était même un de ses plus grands complexes - ça et le fait qu’il ne tienne absolument pas l’alcool… Mais bon, que pouvait-il bien y faire ? Quoique, fut un temps, le petit brun avait pris l’habitude de se gaver de lait, espérant naïvement que ça le ferait grandir plus vite. Mais non, ça n’avait pas marché : apparemment, Ash était et resterait petit, quoiqu’il arrive. Mais bon, en même temps, il avait toujours été haut comme trois pommes et cela ne l’avait quand même pas empêché de devenir l’Ash Ezo que tous connaissaient aujourd’hui… La taille n’avait absolument rien à voir avec la valeur d’un homme ! Et puis d’abord, ce n’était pas lui qui était petit, c’était les gens qui étaient beaucoup trop grands, nuance. Sans compter le fait qu’aux vues des traits encore juvéniles de la jeune aspirale, cette dernière ne devait pas être beaucoup plus âgée que lui ! Ouep, si ça se trouvait, elle n’avait même pas encore la vingtaine… D’ailleurs, il lui donnait quoi… 17, 18 ans ? 19 peut-être mais en tout cas, certainement pas plus ! Et donc, en résumé, ils devaient avoir approximativement le même âge… Alors ? Elle le faisait exprès ou elle était juste débile ? C’était voyant pourtant ! Ou alors, peut-être cherchait-elle à le vexer, à le blesser dans son orgueil de jeune-Boss-juste-un-peu-plus-petit-que-la-moyenne ?! Humpf. La crapule, quelle créature vile et mesquine ! Mais voilà, c’était raté - complément raté même ! - car il n’était pas du tout vexé ! Non, non, non, absolument pas !

- Vous êtes aveugle ou vous le faite exprès ? ronchonna-t-il tout de même en fronçant légèrement les sourcils. J’suis pas un gosse, vous savez ! Et puis franchement, c’est l’hôpital qui s’fout de la charité, là… Z’avez pas honte de sortir des bêtises plus grosses que vous ?

Tche. Non mais !
Bon, bref… Alors… Qu’est-ce qu’il faisait avec cette fille déjà ? Ah oui, la Cité Haute ! Ah mais tiens, en parlant de Cité Haute, il était grand temps qu’il se reconcentre un peu sur le chemin à prendre ! Parce que là, ils s’éloignaient au lieu de progresser ! (Franchement, on lui laissait les « rênes » deux minutes et ce drôle de spécimen qu’était l’aspirale trouvait le moyen de vous faire rebrousser chemin, ou presque !).

- La curiosité est l’un des premiers facteurs des liens sociaux, répondit l’aspirale en haussant évasivement les épaules, ignorant royalement sa pique. Sait-on jamais, peut-être avons-nous des occupations communes ?

Tche. Décidément, elle avait toujours réponse à tout celle-là ! Ce n’était vraiment pas drôle…
Il faut dire qu’Aïane avait tout de même sacré avantage sur lui : la jeune prêtresse avait sans doute accès à bien plus de connaissances qu’Ash ne pouvait en citer… De la même manière, étant enfant, la jeune femme avait certainement pu aller à l’école. Et puis bon, de toute façon, si par malheur elle n’avait jamais eu l’occasion de s’installer à un banc d’écolier, elle avait maintenant la possibilité de se rattraper : en effet, en tant que prêtresse, les études étaient obligatoires. Alors bon, évidement, être cultivé ça aidait à entretenir sa répartie ! (Et donc, fatalement, de ce côté-là, notre petit brun était plutôt désavantagé : n’ayant jamais mis les pieds dans une école de toute sa vie, Ash n’avait qu’un accès très limité aux savoirs qu’on y dispensait quotidiennement !).

- Permettez-moi d’en douter…

Entre un Boss pirate et une jeune aspirale, Ash ne voyait pas bien quelles occupations pouvaient être partagées… (Enfin, autres que le traditionnelle « manger, boire, dormir et respirer, etc. », bien entendu !).

- Et puis, peut-être désirez-vous vous affairez à ses ‘occupations’ en dépit de ma présence… au quel cas cela me concerne un peu, non ?

Mais mon Dieu, quelle bavarde ! Décidément, ce n’était pas possible un truc pareil !

- En fait… ça ne me concerne peut-être pas. Sûrement pas. Mais il n’empêche que j’aimerai bien savoir ! … Mais, heu… Elles vous dérangent ces questions ?
- Hum ? Bof, pas vraiment… Et puis bon, si je n’ai pas envie de vous répondre, je ne réponds pas, c’est tout.

Le ton était légèrement traînant, comme si le simple fait d’aligner ces quelques mots en deux phrases grammaticalement correctes était un exploit en soi.
Petit coup d’œil à la jeune femme qui était de nouveau agrippée à son bras, léger bâillement et quelques mèches de cheveux sombres repoussées vers l’arrière, loin des yeux, par une manche fine et blanche. Ils étaient bientôt arrivés…

- Vous avez quelque chose à cacher ?

A ces mots, le corps d’Ash réagit instinctivement : il se crispa violement, comme gelé sur place, se raidissant dans un mouvement d’autodéfense maladroite. Arf, là, elle devenait vraiment trop perspicace à son goût. Bien entendu, elle ne pouvait pas le savoir mais certains mots étaient à éviter et ce, pour son propre bien…

- Qui sait…

Il avait longuement hésité entre lui répondre un « Là, vous êtes vraiment trop curieux. » polaire ou laisser planer le mystère… Finalement, le brun avait opté pour la seconde solution, aussi suicidaire soit-elle.

- Au fait, c’est quoi votre nom ?

Humpf, on change de sujet comme on peut, n’est-ce pas.