Quand un nain décide de bouder... ®

– Putaiiiiin !

Tsss. Y’avait pas à dire, avoir été pratiquement élevé dans la rue – presque par la rue elle-même – ça avait vraiment eu des conséquences désastreuses sur son vocabulaire... « Irrécupérable ! Irrécupérable et vulgaire ! », aurait raillé un riche ; mais au final, ça n’était là qu’une façon plus franche de s’exprimer. Quand il disait : « T’es qu’un sale enfoiré de merde ! » à quelqu’un, quelque part, c’était une forme d’honnêteté. Lui, au moins, il disait les trucs franchement, comme ça lui venait et sans s’en cacher, au lieu de le penser tout bas et de prétendre être « bon et bien éduqué ». Lui, au moins, même s’il avait beaucoup de défauts et une sale façon de parler, il n’était pas hypocrite. Et puis d’abord, normalement, c’était aux parents d’apprendre ce genre de chose – la politesse et les bonnes manières, tout ces trucs-là quoi ! – à leurs gosses ; ou du moins, aux professeurs. Alors bah du coup, comme il n’avait eu ni l’un ni l’autre dans son enfance (oh, il avait effectivement connu sa mère, mais celle-ci jurait presque plus que lui à l’heure actuelle et question manières, ça n’avait jamais été le top !), il causait mal. La politesse, les bonnes manières et tout, il ne pouvait pas les sucer de son pouce, tout de même ! « Tous des sauvages ! », affirmait le beau monde en costard quand ils critiquaient sans vergogne leurs activités, leur langage, leur façon de s’habiller, de rire, de marcher, ... de vivre, quoi ! Tsss. Ils pouvaient bien critiquer tant qu’ils voulaient, ça restait complètement stupide et puéril : s’ils désiraient tellement ce monde tout rose qu’ils faisaient semblant de construire, ‘fallait commencer par utiliser leur montagne d’argent pour envoyer les gosses du peuple à l’école, au lieu de les traiter de vermine quand ils chapardaient pour se nourrir. Tsss. Tous des pourris.

Enfin, soit. Tout ça pour dire que, oui, il causait mal (« Et alors ? », avait-il envie de grogner) ; mais bon, c’était la faute de cette tarée de Nathalia, aussi ! Pourquoi avait-elle besoin de lui courir après dès qu’il partait faire une sieste ? Pourquoi diable se sentait-elle obligée de jouer les nounous avec lui ?! Elle le stressait à la fin ! Et puis, de toute façon, il était assez grand... enfin... assez « mature » pour pouvoir se débrouiller seul. De même, ce n’était définitivement pas la mort s’il s’endormait (un peu) pendant les réunions... Après tout, il n’y pouvait rien, lui, si c’était trop chiant ! Et puis, il manquait de sommeil... ‘Fallait bien qu’il le rattrape d’une façon ou d’une autre, non ? Enfin, peu importe la raison, dans tous les cas, ça n’était pas la peine de le cogner si fort ! Sérieux, après ça, il allait certainement avoir un bleu énorme ! Sa pommette était toute gonflée et le carré de peau touché par les phalanges – horriblement dures – de son Second était rougi. Ça le lançait même plutôt méchamment. Ah... Franchement... Rien que pour une toooouuute petite sieste, une sieste de rien du tout – effectuée stratégiquement dans un moment peu important de la réunion, qui plus est ! – elle le cognait si fort ? C’était un peu exagéré, tout de même ! Il n’osait même pas s’imaginer le sort qu’elle lui réserverait si jamais il s’aventurait à sécher une réunion avec la Confrérie (à vrai dire, l’idée lui avait déjà traversé l’esprit, mais il n’avait encore jamais osé la mettre à exécution). Et puis bon, pourquoi elle ne frappait pas les autres aussi, hein ? En dehors de lui, c’était des tornades d’injures et de hurlements dévastateurs qui s’abattaient en rafale sur le coupable (la victime, oui !), mais jamais de coups : la violence physique était une chose qui lui semblait spécialement réservée, quelle chance ! Tsss. Y’avait pas à dire, Nathalia était complètement cinglée. Définitivement.

Pour tout dire, Ash n’avait jamais été quelqu’un de très patient. Oh, il n’était certes pas très agité par rapport au reste de ses hommes ni même colérique, mais il n’était pas non plus du genre compréhensif... Sa patience avait des limites et il n’en fallait généralement pas beaucoup pour que celles-ci soient franchies, dépassées, outrepassées, complètement piétinées. Chose que Nathalia semblait d’ailleurs prendre un malin plaisir à faire, sachant parfaitement qu’elle n’allait jamais assez loin pour le mettre réellement en colère – chose qu’elle ne se risquerait d’ailleurs jamais à faire, toute Second qu’elle était ! – tout juste assez pour l’obliger à bouder. Parce que oui, tout Boss-très-méchant-pirate-recherché qu’il était, Ash boudait. Assez souvent, même. Il boudait comme une fille, ce qui faisait beaucoup rire la jeune femme ; mais ça le petit brun n’en avait strictement rien à faire. Et bouder, c’était d’ailleurs précisément ce qu’il était en train de faire. En effet, après la baffe monumentale que lui avait administrée Nathalia pour le réveiller, le petit brun s’était « enfui » de la salle du Conseil en prenant un air blessé-vexé-outragé très réaliste – même si intérieurement il jubilait : c’était sa chance de mettre les voiles ! Il avait ensuite pris le chemin des falaises, ces magnifiques pentes escarpées noyées de grands feuillus qui surplombaient sa cité – son refuge, en gros – avant de rebrousser chemin : c’était triste à dire, mais c’était là qu’on irait le chercher en premier. Il s’était donc résigné à changer ses plans et avait gagner sa chambre, une des pièces les plus surélevées de la cité. C’était un endroit impersonnel, avec un lit immense et un sol recouvert de planches mal coupées. La pièce était très lumineuse, grâce à l’immense fenêtre qui donnait directement sur le vide, près de 60 mètres plus bas. Là, nonchalamment avachi sur le rebord de fenêtre en marbre, Ash Ezo boudait.

– Eh ! Boss ! J'peux savoir ce que tu fous là ?

Grummbluudnpumpf. HAN ! Mais pourquoi, pourquoi diable fallait-il toujours qu’on vienne le faire chier précisément quand il était sur le point de s’endormir ? Pourquoi était-ce toujours lors des rares fois où il faisait autre chose que des cauchemars qu’on venait le réveiller ?! Ne pouvait-on pas lui foutre un peu la paix, bon sang ?! À moins que... Oui... Si ça se trouvait, ils s’étaient tous mis d’accord, ils s’étaient ligués pour arriver à un même but machiavélique : Ash Ezo, à défaut d’assister dignement aux réunions du clan, devait se payer des cernes monstre ! Oui, ça devait être ça ! Un complot, voilà ce que c’était ! De l’insubordination – de l’insurrection même ! – et... Humpf. Ok, ok. D’accord, c’était vrai, c’était débile comme raisonnement. Mais alors... pourquoi ?! Et par-dessus le marché, on lui envoyait cet excité de Tiky, c’était un comble tout de même ! Au moins, sur ce point, Asch était quand même plus « adéquat » que son jumeau... Déjà, il était beaucoup moins bruyant : quand il lui mettait la main dessus, il râlait juste un peu pour la forme. Ensuite, il se foutait dans un coin et se mettait à bougonner sans trop faire de bruit, attendant patiemment que son Boss daigne enfin bouger ses petites fesses. Avec Tiky, ce genre de plan, c’était fichu. Impossible. Lui, il n’était absolument pas du genre à rester assis bien sagement et quand un truc le gênait, il s’en plaignait pendant des heures, jouant les héros mélodramatiques en proie aux caprices du destin : insupportable. Il était vicieux, dans un sens, parce qu’il savait exactement quoi faire pour le faire chier et du coup, il ne s’en privait pas !

– Ça se voit pas, peut-être ? grommela le petit brun, agacé d’avance en prévision de ce qui allait certainement lui tomber dessus dans quelques petites minutes.

Enfin, Tiky avait quand même pas mal de bons côtés ; même si c’était une chose qu’il ne dirait certainement pas à haute voix. En effet, Ash considérait tous les membres du Clan Ezo comme sa véritable famille, mais c’était vrai que lui comme Asch faisait partie des personnes que le petit brun aimait le plus à Suria. Et puis, si Asch avait ses qualités propres, Tiky possédait également les siennes, ce qui permettait de compenser les nombreux défauts de son jumeau, et vice-versa. Les deux étaient uniques, certes, mais ensemble, ils se complétaient.

– Va falloir que tu t'expliques avec Nathalia ! Parce que je n'ai pas envie, ni le temps, de devoir te chercher à chaque fois ! Que Nathalia le fasse elle-même ! lui lança-t-il à nouveau, avant de marquer une courte pause pour reprendre de plus belle. Bon... On fait quoi maintenant ? Tu continues à bouder ?

Agacé par le sermon improvisé de son Kage, Ash se retourna sur son rebord de fenêtre, de sorte à tourner le dos au roux (réaction complètement puérile qu’il assumait parfaitement) et à avoir les jambes dans le vide. Il se balança un peu, effrontément, fermant les yeux et respirant de grandes bouffées d’air. La sensation était grisante... C’était un peu comme de se retrouver sur un fil de funambule, avec la mort à portée de main. C’était si facile... Il suffisait de se pencher de quelques centimètres pour basculer dans le vide et aller s’écraser sur le sol, 60 mètres plus bas. C’était drôle, effrayant et excitant à la fois. Bizarrement, Ash aimait bien les situations périlleuses. Savoir qu’il pouvait mourir d’une seconde à l’autre, à cause d’un simple geste, lui faisait du bien : c’était dans ses moments-là qu’il avait vraiment l’impression d’être vivant. C’était d’ailleurs à cause du danger qu’Ash aimait tant les endroits surélevés. Bien entendu, il y avait d’autres raisons : la brise qui vous faisait frissonner, la sensation de légèreté, l’impression de liberté, tout cela comptait énormément, mais c’était vrai que le danger que les hauteurs représentaient était tout aussi grisant. Tout cela, Nathalia le savait, elle bien qu’elle l’aime beaucoup, Ash savait qu’elle ne pouvait pas comprendre cette pratique malsaine qu’il avait vis-à-vis du danger. Généralement, c’était dans ces moments-là qu’elle le considérait vraiment comme « dérangé ». Bah... Au fond, peut-être l’était-il un peu. Mais bon, ça n’était pas entièrement sa faute non plus : après tout, sa vie n’avait jamais été très saine... À cette pensée, Ash soupira légèrement, fronçant les sourcils sous la frustration : pourquoi est-ce qu’il pensait à tout ça maintenant ? Bah... Il était de mauvaise humeur aujourd’hui.

– J’sais pas... J’fais ce que je veux, en tout cas, lança-t-il finalement, tel un gamin trop gâté.

« Mais bon. Nathalia commence sérieusement à me faire chier... »

(Waaaah, j'ai vraiment eu du mal à le pondre, celui-là. x)

– Maintenant, il serait temps que tu me répondes Ash... Au pire, tu me dis de m'en aller, au moins je n'aurais plus rien à ne me reprocher si Nathalia n'est pas satisfaite...

Nathalia, Nathalia, Nathalia... Encore et toujours Nathalia ! Décidemment, c’était à croire que la jeune femme avait réellement traumatisé la population masculine d’Eprona ! Tsss. Les hommes étaient décidemment bien pitoyables, dès qu’une femme se montrait un peu dangereuse et autoritaire, ils ne savaient plus ou se mettre ni quoi faire ! Enfin, pour le coup, ça n’était pas exactement le cas de Tiky ; Ash savait que le jeune homme trouvait la Seconde plus chiante qu’effrayante et qu’il n’en avait absolument pas peur. La façon dont il avait de la draguer aussi outrageusement en était la meilleure preuve ! Mais bon. Ça restait chiant, quoiqu’on en dise. C’était bien simple, ces derniers temps, Ash avait la désagréable impression que tous ses subordonnés n’avaient plus que le nom de la blonde à la bouche. Trois fois sur dix, quand on lui adressait la parole, c’était pour lui parler de la blonde ! « Nathalia-san aimerait que... », « Tu devrais faire ça, parce que Nathalia... », « Miss McPhee vous demande... et elle n’est pas contente du tout ! ». Il n’en pouvait plus. La blonde prenait trop de place dans sa vie, dans sa tête, dans son quotidien... Ça en devenait presque épuisant ! À la base, il n’avait déjà pas beaucoup « d’espace libre » à consacrer aux « autres », alors si la blonde se mettait à prendre toute la place, il n’allait vraiment plus s’en sortir du tout ! Merde, quoi ! Avec elle sur le dos, il avait l’impression d’être surveillé en permanence : Nathalia jouait à la fois le rôle de mère, de meilleure amie, de soutien, de conseiller, de nounou, de grande sœur, ... Trop, c’était trop. Définitivement. Elle avait toujours été un peu envahissante sur les bords, mais là, c’était le pompon. Ça n’allait plus du tout... À ce rythme-là, il allait finir par étouffer à Eprona : un comble ! Sérieusement, un jour, il allait vraiment finir par péter une durite et ça, franchement, ça n’était pas une bonne idée. Pas une bonne idée du tout, surtout s’il craquait en présence d’autrui : le premier qui aurait le malheur de déclancher sa fureur se retrouverait probablement démembré dans un coin, peu importe son rang ou son identité. Trop, c’était trop.

– C’est pas bien de jeter ses ordures... marmonna-t-il finalement, dans un reniflement presque imperceptible, avant de reprendre d’une voix plus forte, en direction de Tiky. Hmpf. Reste... C’est bon, non ? De toute façon, qu’est-ce que t’as à faire aujourd’hui... ? Rien, je me trompe ? Enfin, à part cette réunion stupide... C’est pas grave si tu la rates ! T’auras qu’à dire que tu n’as pas arrêté de me chercher comme ça la vieille ne se fâchera pas...

Pour une raison qui lui échappait totalement, Ash n’avait pas vraiment envie de se retrouver tout seul, finalement. C’était bon si Tiky restait un peu avec lui, ce n’était pas grave s’il se mettait à parler de trucs chiants ou débiles. C’était ce que Ash pensait, en tout cas. Rah... Il ne se sentait pas très bien aujourd’hui. Il se mettait à penser à n’importe quoi, à divaguer de façon pitoyable, même si au final ces rêveries étranges restaient cachées, enfermées dans le cadre intime de ses pensées. Il avait un peu mal à la tête, comme si un petit oiseau picorait l’intérieur de son crâne par à-coups réguliers. C’était désagréable. Son corps était engourdi et légèrement douloureux, ses pensées troubles et fugaces... Bah. Peut-être avait-il attrapé un rhum, qui sait... ? Cette pensée absurde fit sourire Ash l ’espace d’un instant : à l’époque où il avait encore une mère, il avait été un enfant incroyablement faible. Chétif, maigre, la peau cireuse, il avait tout le temps froid et tombait malade dès qu’un microbe croisait sa route. C’était embêtant, parce qu’à la maison de passe, il n’y avait ni médicaments ni maman câline pour s’occuper de lui. Par la suite, il avait dû dormir dans un couloir, puis dans la rue. Il avait appris à s’habituer au froid, son corps s’était renforcé et depuis cette époque, il n’était plus jamais retombé malade. Pas même la plus petite grippe, le plus petit rhum... Du coup, c’était absolument impossible que sa petite faiblesse passagère et sa mauvaise humeur du moment soit due à un rhum ! Ah, mais avec tout ça, il ne lui avait même pas répondu sérieusement... Un petit effort... ?

– J’en ai marre... Je... fais l’école buissonnière. C’est si grave que ça... ? répondit-il finalement, avec sa voix la plus enfantine et une petite moue innocente.