Lay Shanty

*/ Histoire :

“I’m looking at the people
Walking up and down
Going left and right
And then turn around”

Née de l’acte d’amour d’un homme et d’une femme, Lay fut la seconde enfant d’une famille de trois marmots. Avant elle, il y avait Rid, l’aîné, celui qui savait des choses. Ces choses que l’on ne vous apprend dans aucune salle de classe, celles qui sont utiles dehors, qui vous font écoper de quelques coups de ceinture si par malheur, une part vient à vous échapper au repas du soir. Ensuite arriva Sod, dont on ne sut finalement jamais s’il s’agissait d’une fille ou d’un garçon, faute d’y prêter une quelconque attention du temps où lui et leur mère vivaient encore à la ferme. Un jour où Lay se sentait curieuse, elle se dressa hors de la carriole, Rid sans plus de sentiments, lui répondit simplement que Sod n’était pas l’enfant de leur père, et qu’au final il n’y avait rien de plus à savoir. Grandir dans une ferme avec deux hommes n’était certainement pas la chose la plus compliqué qu’ait pu vivre une fillette de six ans. Son âge excusait bien des choses et contrebalançait grandement avec le statut de femme de maison. Les corvées étaient pour Rid, les tâches ménagères, ils les partageaient tous. Un soir où Lay se sentait pensive, elle s’installa sur la grande marche qui bordait la porte d’entrée, et réalisa qu’ils étaient bien seuls, au milieu de ces terres fertiles, si loin des villes. Ce qu’elle ne remarqua malheureusement pas, c’est qu’elle comme son frère qui se reposait dans la grange, ou son père qui fixait les fenêtres, n’avaient pas besoin d’être éloignés de quoi ou de qui que ce soit, pour être seuls.

Rid quitta la ferme au beau milieu d’un trop chaud après-midi d’été. Assise sur la petite marche qui bordait la porte d’entrée, elle fixa l’horizon pendant quelques temps, jusqu’à ce que la silhouette de son aîné, déformée par les ondulations de la chaleur, disparaisse par-delà les champs. Encore un peu, juste un peu plus longtemps. Le menton posé dans la paume de sa main, le coude appuyé sur son genou, elle resta encore un peu, juste un peu plus longtemps. Comme lorsque le chant du réveil raisonne le matin, et que l’on enfouit son corps sous les couvertures, en pensant encore un peu, juste un peu plus longtemps. Inspirant puis expirant longuement, ses mains touchèrent le carrelage froid de la marche et, après une légère impulsion, elle se dressa sur ses jambes découvertes. Rentrant dans la chaumière sombre. La porte se referma derrière l’adolescente et, l’une après l’autre, les lumières de la demeure virent lentement percer la pénombre de cette nuit qui se faisait brumeuse.

Elle devait avoir quatorze ans, lorsque l’une de ses habituelles balades à travers les champs se transforma départ, en fugue, ou bien encore en abandon. Sans rien changer à sa démarche, elle dépassa le piquet situé si loin au Sud de la maison, celui-là même qui jusqu’alors lui servait de rappel. Qui lui signalait que c’était là qu’il fallait faire demi-tour. Seulement ce jour-là, sans doute voulut-elle marcher un peu plus loin, penser un peu plus longtemps, sans doute cherchait-elle Rid, mais rentrer maintenant et nettoyer la grange ne lui disait rien. Lorsqu’à la lisière d’un sentier, elle croisa cette caravane, et que les appels de ces gitans vinrent perturber le néant de ses réflexions, elle qui n’avait jusqu’alors jamais croisé personne, leur adressa un fin sourire.

Aux premiers abords, Lay semble tout à fait sympathique. Sa posture offre une sensation d’assurance à la foule, comme si la demoiselle était tout à fait confiante, sûre d’elle-même et de chacun de ses actes. Sa politesse de circonstance et les sourires qu’elle distribue naturellement à qui l’entoure faussent une impression de joie de vivre, voir même d’innocence, tout dépend de la manière dont les passants perçoivent le monde. Au milieu d’une foule d’inconnus, la midinette fait donc preuve d’une sociabilité des plus agréables. En effet, être mélangée à des individus dont elle n’aura jamais à apprendre ou bien même à retenir le nom est une situation qu’elle apprécie car maîtrise. S’il est aisé de paraitre, il est bien plus difficile d’être, et Lay est de ces rares personnes à qui la compagnie de réussit pas. Vivant selon des principes relativement égoïstes, elle ne sait se débrouiller que seule, faute d’avoir correctement suivi le guide du comment se faire des amis. Et si ses diverses astuces et stratagèmes dans lesquels elle semble mettre toute son âme et tout son talent n’ont généralement pas d’autre but que celui de lui remplir les fouilles, c’est bien parce qu’elle est excessivement attachée à son argent. Mieux vaut ne pas lui en emprunter. Elle pourchassera l’endetté jusqu’à la tombe, réclament ses biens auprès des descendants de ce dernier s’il le faut. En sommes, dès que les sans visages qui l’entourent gagnent une identité et s’impose d’une manière quelconque dans son existence, ça en est fini des sourires encourageants et des tournures lyriques mielleuses. Résister à cela est au-dessus de ses forces, lorsqu’elle en vient à connaitre un tiers, elle a la pesante sensation que les défauts de ce dernier lui sautent au visage. Le plus attristant étant que les dits défauts ne sont généralement rien de plus quelques mimiques, voir même de rares mouvements ou actes pouvant engendrer un court dégoût. Inutile de préciser qu’il est donc extrêmement compliqué pour elle d’accorder sa confiance. En vérité, tout dépendra du principal intéressé, c’est-à-dire le malheureux qui aura vu son destin s’entremêlé au sien. Si ce dernier possède un caractère à même de séduire Lay, et bien le pire reste à venir. Une fois attachée, la jeune fille sait faire preuve d’une loyauté sans pareille, sous ses airs fanfarons et ronchonneurs, en effets en bonne cogiteuse, elle aura toujours son mot à dire, chose qu’elle ne prend pas la peine de faire lorsqu’elle n’apprécie pas son locuteur. Les ô combien rares élus de son cœurs auront tout de même la chance de découvrir une Lay étonnamment généreuse, ne comptant plus ni les efforts ni l’argent, et devenant même passivement possessive à l’égard de ces derniers, sans véritablement le réaliser.

D’une taille que l’on qualifierait bien d’éternellement adolescente, Lay est recouverte de chaire pâle et trop peu épaisse. Victime d’un malheureux désordre du métabolisme, elle ne peut reprocher sa triste maigreur à personne si ce n’est elle-même et cette horrible manière de s’alimenter qu’elle appelle manger. Mademoiselle est donc fine, maigrelette et légère. Si à plusieurs reprises, l’on craignait inutilement que le vent ne l’emporte, c’est parce que l’envoyer valser n’a rien de bien difficile. Certes son corps est souple et agiles, ses mouvements vifs et calculés, mais elle n’en reste pas moins frêle. L’attraper peut ainsi s’avérer rude et délicat, mais lui casser un bras n’est l’affaire que d’un seul homme.

Autre point, la Mistinguett est bien loin d’assumer physiquement ses dix-neuf années. Ses traits mélanges sans grande délicatesse de rares traces de maturité et quelques restes d’enfance. Ainsi, son menton est pointu mais arrondi, ses joues blanches, mais rehaussées, ses cils longs, mais blonds comme les blés … Un lourd contraste qu’elle tenta d’abréger sans grande conviction, faute d’y prêter un réel souci, le jour où elle coupa sa longue chevelure. Si jadis, les pointes de ses cheveux venaient se frotter à ses hanches, aujourd’hui c’est sa nuque qu’elles enlacent de leur blond lumineux. Peu volumineuse, facile à dompter, Lay n’est pas très embêtée par sa crinière et, les laver semble être le seul soin qu’elle daigne lui offrir. La tailler de moitié ne lui aura cependant rien rapporté de plus que l’argent qu’elle obtint en les vendant, elle ni plus adulte ni plus enfant aujourd’hui.