Norikoeru, gravir la montagne.

Chaque année naissent des rejetés. Ces enfants, considérés comme la lie de la société jusqu'à leur mort, sont souvent utilisés comme bouc émissaires. Cela dit ce n'est pas toujours le cas, il n'est pas marqué sur leur front que les rejetés en sont, aussi certain d'entre eux parviennent à le cacher sans trop de difficultés.
Norikoeru naquit dans la luxure la plus totale. Fille d'un marchand plus que privilégié et d'une de ses servantes, elle était promise à une existence voluptueuse entre ses onze frères et sœurs. Cependant, comme vous vous y attendez sûrement, Norikoeru présenta une particularité, et pas des moindres, dès sa naissance. En effet, la feuille d'érable que l'on déposa dans sa main ne subit pas le moindre changement. Très inquiets, les parents décidèrent -en respect de l'heure tardive- de remettre la décision de l'avenir de l'enfant à demain. Celle-ci passa sa première nuit la feuille d'érable collée contre elle.
Au matin, lorsque sa mère se décida à répondre à ses cris matinaux, elle remarqua que la feuille avait légèrement roussi. Son père, qui s'était imaginé dans son rêves que la feuille pouvait être défectueuse d'une quelconque manière, peut-être que ce n'était pas une feuille d'érable ; fut obligé de se rendre à l'évidence : sa fille était une rejetée.
Il demanda alors sans états d'âme à sa servante de quitter le palais avec leur fille, sans plus jamais y revenir. Celle-ci s'exécuta en pleurant et se décida à vivre dans la misère avec sa seule fille, alors que son ancien maître continuait son existence paisible avec ses diverses maîtresse et sa femme.

Cependant, la femme en question tenait plus que tout à la fortune que lui apportait son mari, aussi quand elle eût vent de cette affaire, c'est-à-dire pas très longtemps après qu'elle n'eût lieu, elle convainquit son mari sans trop de difficulté que cette fille qui n'avait pas reçu la grâce des déesses pouvait aisément servir aux nombreuses personnes qui cherchaient à le discréditer. Cependant, le père aimait tous ses enfants et répugnais à tuer ou faire tuer le fruit de sa chair, il ne parla donc pas d'une condition à sa femme, dont il savait qu'elle la refuserai.
La nuit même, la servante fut exécutée. Conformément aux ordres du père donnés à l'insu de sa femme, ils ne touchèrent pas à la petite fille, qui ne pouvait tout simplement pas se souvenir de qui étaient ses parents au vu de son plus que jeune âge, et qui n'était pour rien dans son infirmité que son père considérait comme entièrement due à la servante impie.

La tenancière de l'auberge, une femme pleine de bonté malgré (ou peut-être grâce) son vieil âge, choquée par le meurtre qui avait eu lieu dans son auberge, décida de recueillir le nourrisson. Elle la soigna sans vraiment l'éduquer, trop occupée par ses propres soucis. Aussi au fur et à mesure de son âge, la nonchalante jeune fille devint indépendante par la force des choses. Elle aimait sa mère d'adoption, mais avait appris à apprendre seule. Sans aimer particulièrement l'absence de compagnie, la jeune fille aimait souvent à s'isoler de l'agitation qui régnait dans la taverne de sa mère pour se retrouver seule ou avec une unique personne. Elle n'était pas non plus aigrie ou malheureuse ; au contraire la jeune fille faisait preuve d'une joie de vivre particulièrement décalée dans ce paysage sali par la pauvreté et le vice. Toujours portée sur la plaisanterie, il était rare de ne pas la voir sourire.
Bien entendu, sa mère d'adoption lui répétait clairement qu'elle n'était pas sa fille et qu'elle ne lui devait rien ; elle ne lui donna pas son nom, aussi Norikoeru vécut-elle sans nom de famille, et sans s'en préoccuper outre mesure.

Le temps passa sans d'incident majeur, sa mère d'adoption mourut, abattue par un pirate alors qu'elle tentait de défendre un éclaireur d'un autre clan, alors que Norikoeru était loin, celle-ci ne fut pas réellement attristée par la mort de sa mère, puisque âgée à l'époque de douze ans, elle ne comprenait pas tout à fait cette réalité de séparation. Outre l'absence de sa mère, la seule chose qui changea réellement, fut qu'elle se fit à manger elle-même.
Elle continua de fréquenter les mêmes compagnons de jeux, puis peu à peu, son envie de découvrir de nouveaux horizons la fit voyager en-dehors de son petit quartier souillé par la saleté et la sueur de ceux qui y vivaient (ou qui y avaient vécu). Elle découvrit peu à peu le reste des quartiers pauvres d'Anthélima ; puis les quartiers riches, qui lui démontrèrent concrètement les inégalités dont on lui parlait depuis qu'elle était jeune. En opposition aux quartiers pauvres dont les constructions semblaient écrasées par la poids de leur pauvreté, craquant sur leurs bases, construits dans un bois pourrissant et vermoulu, les bâtiments des quartiers riches s'envolaient en de douce courbes de pierres de différentes couleurs selon les goûts des architectes et des possesseurs. La jeune fille (quatorze ans au moment des faits) fut émerveillée par l'altitude des bâtiments et leur propreté. Pas un seul cadavre dans les rues, pas de déchets jonchant le sol, mais des rues pavées, droites. Un seul mot lui venait à l'esprit pour les décrire : propres. Il lui semblait que ces constructions pouvaient atteindre le ciel qu'elle aimait tant pour son bleu éblouissant et ses nuages, si légers qu'ils ne tombaient jamais.

Norikoeru ne fut que très peu surprise de se voir refuser l'accès à la ville haute en tant que « Sale gamine », aussi elle continua de voyager, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur d'Anthélima. Elle passa deux nouvelles années à vivre des métiers qu'elle pouvait accomplir. Elle n'avait pas de rêve et n'en avait pas besoin pour être heureuse, elle se contentait de profiter des opportunités que la vie lui offrait toujours de s'amuser ou de travailler, parfois les deux.
Au cours de ces seize années de vies, la jeune fille eût maintes fois l'occasion de se battre, mais se réserva aux moindres fois où elle y fut contrainte. Trop pauvre et peu belliqueuse pour acquérir une arme, elle préféra utiliser son corps pour se battre. De nature sportive, son agilité la tira souvent des mauvais pas que son manque de force lui causait.