Une claque, deux claques, trois claques ... [Ashinounet]

– Ezo-sama !

C’était un cri de surprise mêlé de plaisir, un cri qui venait de retentir entre les pavés usés de la petite ruelle. C’était un cri perçant, un cri lancé d’une voix aiguë, comme seules les filles – ou, à la rigueur, les très jeunes garçons ! – pouvaient vous sortir des tréfonds de leur gosier. Un cri. Ce n’était qu’un cri, un cri parmi tant d’autres, juste une voix un peu étouffée par la cohue qui caractérisait Arhen lorsque la journée s’achevait, mais ce simple son réussi à l’arrêter net, le pétrifiant sur place. Quelques secondes plus tard, un deuxième appel siffla à ses oreilles, encore plus perçant et aigu que le précédent, et Ash Ezo ne put cette fois réprimer un long frisson d’horreur : Oh. Mon. Dieu. Pourvu que cela ne soit pas Leila ! Bientôt, des pas précipités retentirent dans son dos et Ash déglutit longuement, concentrant par-là toute sa volonté et toute sa force vers un seul et unique but : résister ! Ne surtout, surtout pas prendre ses jambes à son cou face au terrible danger qui approchait à toute vitesse dans son dos. Pour se donner du courage, le petit brun tentait de se raisonner de façon logique : fuir serait la chose la plus stupide (tellement tentante, pourtant !) à faire ; cela ne ferait qu’exciter le fauve en lui apportant la fièvre de la chasse, le plaisir de la traque. Et quand Leila lui mettrait finalement la main dessus (parce que de toute façon, quoiqu’il fasse, cette gamine finissait toujours par le choper !), sa souffrance n’en serait que plus grande et plus difficile à supporter. Oui... Résister, il faillait absolument résister !

– Ezo-samaaaaaaaaah !

Le quatrième appel lui apporta finalement la délivrance. En effet, quand la vérité lui sauta enfin aux yeux, Ash eut bien du mal à se retenir de rire, tant il était soulagé : cela ne pouvait pas être cette furie de Leila (« Mini-Nathalia », pour les plus connaisseurs d’entre eux) ! Impossible ! Cette sale gamine ne connaissait même pas la signification du mot « respect » et passait son temps à lui grimper dessus lors des réunions de la Confrérie ; qui était soi-disant passant un vrai foutoir, contrairement aux idées reçues. Il était donc totalement impossible qu’elle puisse s’adresser à lui avec telle déférence, même pour plaisanter ! Aaaah.... Sauvé ! Ce n’était là qu’un court moment de répit – Ash en était parfaitement conscient – mais c’était toujours agréable de se rendre compte que ses peurs étaient en réalité infondées. C’était toujours bon à prendre ! C’est donc avec un air plutôt engageant que le jeune Boss fit volte-face, ses grands yeux noirs tombant sur la courte silhouette d’Annabelle, une petite marchande d’étoffes avec qui il avait fait connaissance lors de sa précédente venue à Arhen.

– Ah, mon Dieu... J’ai eu peur de vous manquer ! gémit la jeune fille, la respiration encore hachée par sa précédente course. En fait, j’ai entendu dire qu’il y avait une réunion aujourd’hui, donc je me doutais que vous vendriez à Arhen ! Je vous cherche partout depuis ce matin, je n’en peux plus !
– Hn ? Pourquoi fais-tu un truc aussi stupide ?
– C’est que... Enfin, j’aurais été très déçue si je n’avais pas pu vous saluer !

Sérieusement, il ne comprendrait jamais les filles. Elles étaient absolument impossibles et celle-ci avait l’air d’être encore plus stupide que ses congénères... En effet, Arhen était une cité plutôt impressionnante ; mine de rien, c’était grand et les « sans-grade » (si on pouvait réellement les nommer ainsi) comme elle n’avait évidemment pas accès au Palais, ce dernier étant réservé aux Sept Étoiles et à leurs hommes les plus proches, ceux qui voyageaient toujours avec leur Boss, quelque soit la destination. Du coup, la jeune femme avait à peu près une chance sur mille de lui mettre la main dessus dans tout ce bordel. Le chercher ainsi dans toute la cité juste pour pouvoir le saluer, c’était stupide. Mais bon, ça, c’était bien entendu sans compter sur l’indécrottable chance d’Annabelle ! C’était bien simple, cette fille était un vrai aimant à bonnes choses ! Les jeux de hasard, les loteries, les découvertes entre deux pavés crasseux, peu importe ce que c’était, Annabelle gagnait toujours tout et quelque part, Ash se disait que c’était précisément cette chance incroyable qui lui permettait de vivre. En effet, si la jeune femme était très chanceuse, elle était également incroyablement maladroite. Sans sa bonne étoile pour veiller sur elle, Annabelle aurait certainement péri depuis longtemps, écrasée par un truc ou gravement brûlée en cuisinant...

– ... Tu fais vraiment des trucs bizarres, marmonna-t-il finalement en étouffant un bâillement.
– Et vous ? Vous filer encore à l’elfique ? Vraiment, vous êtes impossible, je plains sérieusement vos subordonnés ! répliqua-t-elle avec malice, celle que seules les jeunes filles de 16 ans peuvent avoir.
– Tsss. Tu ferais mieux de rentrer au lieu de raconter des conneries !
– J’y vais, j’y vais ! Oh, mais... Vous aussi vous feriez mieux rentrer, en fait. J’ai croisé un de vos Kages tout à l’heure, il n’avait pas l’air très content.
– Hn.
– Franchement... Vous allez vraiment finir par vous faire tuer, un de ces jours, vous savez ? Je ne pense pas que Mademoiselle McPhee soit du genre à pardonner vos bêtises indéfiniment !
– Tsss. Allez, casse-toi ! Sale gamine, va !
– J’y vais... Prenez soin de vous, à la prochaine !

Et la voilà repartie, courant comme une imbécile heureuse dans les rues de la cité. Vraiment... Il ne comprendrait jamais les filles, définitivement. D’ailleurs, c’était encore pire quand elles grandissaient ! Il suffisait de voir comment Nathalia était passée de la petite fille riche et bien élevée à cette espèce de furie qui hurlait sur tout le monde dès qu’un truc la contrariait : effrayant. Ouais... Les femmes étaient véritablement des créatures étranges... Enfin, soit. Mine de rien, Annabelle – toute effrontée qu’elle était ! – avait quand même raison sur un point : cela faisait déjà pas mal de temps qu’il s’était éclipsé, prenant la poudre d’escampette (comme un gamin de 5 ans, voire moins, il fallait le reconnaître !) dès la réunion terminée, et à cette heure-ci de la journée, ils avaient certainement commencé à le chercher, histoire de lui mettre la main dessus avant la nuit. Bon... Que devait-il faire dans ce cas ? Bah. Il s’était déjà bien amusé... Autant rejoindre sa blonde préférée avant que celle-ci ne se mette réellement en colère. Après tout, il ne fallait pas abuser des bonnes choses, sinon celles-ci perdaient vite de leur saveur ! C’est donc avec un léger sourire qu’Ash entreprit d’atterrir sur le toit de l’échoppe la plus proche, profitant de l’incroyable souplesse de son corps et de la force de ses mains pour se propulser dans les airs. Il se réceptionna parfaitement sur les tuiles de terre cuite et fila ensuite en direction du la Place de Crié, un des endroits les plus bondés de la cité : c’était là qu’il avait le plus de chance de trouver Nathalia et les autres. En effet, il ne lui fallut pas trois minutes pour dénicher la jolie silhouette de sa Seconde parmi les nombreux pirates qui squattaient le coin et même pas deux secondes pour se positionner au plus près de sa nounou attitrée. Il entreprit ensuite de se laisser tomber au sol, atterrissant directement sous le nez de la blonde, leurs deux corps séparés par quelques centimètres à peine.

– Surprise, lui lança-t-il ensuite de sa voix ensommeillée, un petit sourire mi-amusé, mi-moqueur au coin des lèvres.

En temps normal, Ash n’était pas vraiment ce qu’on pouvait appeler un « cerveau » ; c’était même plutôt le contraire : il réfléchissait parfois vraiment très lentement. Voilà pourquoi il se trouvait toujours prostré là, juste devant sa jolie blonde de Seconde, à fixer la myriade de bonbons colorés qui constellaient désormais les pavés tout autour d’eux (alors que sa vie était dès à présent sérieusement en danger !). Il restait là, immobile, interdit, la bouche entrouverte sous la surprise : il ne pensait pas que sa petite entrée « théâtrale » aurait autant d’effet sur la jeune femme ! Mais bon, en même temps, la tonne de bonbons éparpillés un peu partout à ses pieds fournissait une explication on ne peut plus claire quand à la situation présente : Nathalia était une dingue de sucrerie ; une fois son esprit concentré sur ses bonbons adorés (ou une autre douceur du genre, entendons-nous bien !), il n’y avait plus que ça qui comptait et on ne pouvait plus rien en tirer ! C’était donc plutôt logique que celle-ci ne l’ait même pas senti venir ; chose qu’elle faisait généralement assez bien, en temps normal. Il faut dire que l'ancienne aristocrate avait un bon instinct et des sens en béton, car c’était assez rare que ses petites « farces » de collégien mal luné marchent aussi bien (ou marchent tout court, en fait !). Enfin, soit. Ce n'était pas bien grave... Quoique. C’était quand même un beau gâchis, toutes ces sucreries souillées par la poussière et la crasse qui collait comme une seconde peau à la chaussée. « Impossible à récupérer, vraiment dommage... », pensa vaguement Ash en jetant un regard consterné, presque désolé, aux petites douceurs colorées, avant de se rappeler avec horreur à qui appartenaient les dites douceurs : Nathalia ! OH. MON. DIEU. Elles étaient à Nathalia ! Nathalia la furie ! Nathalia la fanatique du sucré ! ARG. C’était mauvais... vraiment très, très mauvais ! Soudainement prit d’un frisson incontrôlable, Ash Ezo se recula imperceptiblement de la jeune femme, avant de lentement relever les yeux vers elle, en prenant bien soin d’afficher l’air le plus penaud possible. Il prit ensuite une longue bouffée d’air, histoire de se donner un peu de courage, et s’apprêta à se répandre en excuses, espérant sans trop y croire pouvoir éviter la terrible tempête qui ne manquerait pas de se déclencher d’une minute à l’autre. Il n’eut malheureusement pas le temps de s’exprimer, car à peine avait-il ouvert la bouche que la voix (soudain vraiment très grave !) de Nathalia retentit dans la rue, ses inflexions habituellement si chaudes chargée de menaces et signe de mille et une souffrances.

– Espèce d'abruti, imbécile fini ! Tu vas me le payeeeeeeer !

Bien évidemment, les insultes furent suivies de près par un poing de doigts fins (mais ô combien meurtriers !), un poing lancé à pleine puissance et dont la destination finale n’était ni plus ni moins que son pauvre petit nez. Heureusement, étant habitué à ce genre de réaction de la part de celle qu’il considérait comme sa grande soeur, Ash eut la présence d’esprit d’esquiver, évitant ainsi le coup dévastateur de très peu. Parce que bon, Nathalia, c’était certes une jolie femme – féminine, douce (enfin, seulement à ses heures, hein !) et compagnie ! – mais il fallait quand même rester prudent et s'en méfier : mine de rien, une fois réellement mise en colère, elle avait une de ces forces ! Un truc de fous ! Sans rire, Ash était absolument certain qu’avec un peu de volonté et beaucoup de colère, sa Seconde était parfaitement capable d’envoyer au pays des rêves un homme de taille moyenne en un seul coup ! Et oui... Nathalia était efficace, certes, mais également très, très effrayante ! Quant à lui, tout Boss qu’il était, il était très, très mal barré...

– Ah... Ah ah, euh... C’était un rire nerveux ; il savait que cela ne ferait qu’empirer sa situation présente, mais malheureusement pour ses fesses, il ne pouvait tout simplement pas s’en empêcher. Na... Nathalia, tu as l'air bien nerveuse, aujourd’hui, dis-moi... ! Sursauter ainsi... Je... ne m’y attendais pas ! Ahahaha... Euh, enfin, ce ne sont que des bonbons, hein ? Juste un peu de sucre, n’est-ce pas... ? Wo... Urgh. Enfin, non, non, non, bien entendu, je sais à quel point c’est important pour toi, je ne voulais absolument pas dire que ce n’était pas grave ou pas important, hein, pas du tout, non, je n’oserai pas. Ahaha. Mais euh... Ah ! Si tu veux, je vais t’en racheter... OK ?

Il s’emmêlait facilement les pinceaux quand il parlait. En effet, n’étant pas vraiment habitué à tenir de longues conversations, Ash avait parfois du mal à l'oral. Ce n'était pas toujours facile pour lui de se monter éloquent, en dehors des situations officielles et des affrontements. Et en fait, il l’était uniquement quand il en ressentait le besoin ; le reste du temps, il se contentait généralement de répondre par des monosyllabes – ou de ne rien répondre du tout, c’était encore plus simple. Mais bon, là, il n’était pas certain que sa prestation minable puisse avoir un quelconque impacte (positif, entendons-nous bien !) sur la colère de la blonde... D’autant plus qu’il ne s’était pas réellement excusé pour le désastre qu’il avait involontairement causé ; enfin, c’était une chose qu’il ne ferait de toute façon pas, même si la jeune femme le lui ordonnait : il détestait s’excuser et ne le faisait donc qu’en cas de force majeure, quand il n’avait pas d’autres choix que de plier pour se sortir du pétrin, lui ou le clan tout entier... Oui, c'était ainsi, Ash Ezo ne s’excusait pas ; et même une Nathalia enragée ne pourrait lui arracher une telle confession repentie, peu importe le volume sonore de ses cris et le nombre de coups qu’elle pourrait bien lui porter ! Néanmoins, il prit tout de même le soin de s’éloigner encore un peu, restant sur ses gardes, le corps tendu, près à esquiver et à bondir sur le toit le plus proche, si jamais le besoin s’en faisait sentir. Il était fier et méchamment buté, d'accord, mais pas complètement fou non plus, notre Ash !

Ash n’avait jamais vraiment aimé les femmes. Elles étaient fourbes, vicieuses et on ne savait jamais à quoi s’attendre avec elles. Toujours à tourner autour du pot et à essayer de vous manipuler, de vous séduire... On ne savait jamais vraiment ce qui leur passait par la tête et quelque part, c’était dangereux. Oh, bien entendu, au cours de ses dix-huit années de vie, le jeune homme avait tout de même eu l’occasion d’en rencontrer une ou deux qui en valaient vraiment la peine ; des femmes fortes qui méritaient d’être remarquées. Il y avait tout d’abord eu Nour, cette jolie jeune femme qui s’était tellement occupée de lui, lorsqu’il n’était encore que « Ash, le rejeton d’une fille de joie ! ». C’était cette même jeune fille qui lui avait sauvé la vie alors qu’il n’était encore qu’un enfant : elle lui avait permis de quitter Kagetora et de prendre son envol ; même si à l’époque, il lui en avait beaucoup voulu, prenant son geste comme celui d’une trahison perfide. Par la suite, il y en avait d’autres, des filles fortes qui se battaient à ses côtés, écrasant leurs adversaires masculins comme s’ils n’étaient qu’un tas de mouches. C’était l’époque où il n’était qu’un sale gosse, qu’un chef de gang cruel et pitoyablement faible. Aujourd’hui, il y avait bien entendu Ivy et Anise – ses petites « protégées malgré lui » ! – mais également toutes les femmes qui vivaient à Eprona, bataillant sous ses ordres ou travaillant entre ses murs. Il y avait également les femmes qu’il côtoyait via la Confrérie, Leila, Calill, toutes les Boss avec qui il travaillait, même Annabelle, cette gamine de seize ans qui passait sa journée à le chercher stupidement... Il y avait sa mère, malgré tout. Cette maman ni vraiment bonne ni vraiment mauvaise, tellement faible mais en même temps si forte, fière et indépendante. Cette maman qu’il n’avait pas encore réussi à pardonner, mais qu’il ne pouvait tout de même pas oublier. Et puis, bien entendu, au sommet de cette tour immense, il y avait Nathalia. Nathalia l’aristo, Nathalia la furie, la grande soeur, la pirate, la femme... Cette étrange jeune fille qui l’avait un jour suivi, sans même prononcer un mot. Cette jeune fille qui le suivait encore et qui le suivrait toujours, peu importe l’endroit où il se rendrait, il en était certain. Cette jeune fille qui l’avait épaulé, aidé, supporté jusqu’à ce qu’il puisse se hisser seul jusqu’au sommet ; celle qu’il avait vu changer et s’épanouir peu à peu, celle qui donnait des ordres avec fermeté, celle qui criait fort mais qui était toujours là ; pour lui, pour Anise, pour Ivy, pour tout le monde... Quelque part, même s’il ne les aimait pas énormément, même si elles étaient incroyablement compliquées et chiantes, les femmes étaient rassurantes... Chacune d’entre elles. C’était d’ailleurs pour cette raison que Nathalia était une des rares personnes à pouvoir s’adresser à lui de cette façon, sans pour autant finir découpée en petits morceaux. Elle pouvait l’insulter, le frapper, hurler à s’en briser les cordes vocales... Elle lui balançait ses quatre vérités bien en face, lui crachait ses défauts à la figure... Et malgré tout cela, elle était toujours là, vivante et fière. Tout simplement parce qu’elle en avait le droit, Ash le tolérait, même si la jolie blonde veillait toujours à ne pas dépasser une certaine limite, s’épargnant ainsi les désastre que le petit brun en colère pouvait provoquer. Nathalia ne le craignait pas, Ash le savait, mais il savait également que la jeune femme prenait toujours soin de ne pas le mettre en colère, car elle détestait le voir cet état. D’ailleurs, à Eprona, tout le monde détestait ça, lui y compris. Enfin, ça, c’était encore un autre problème... Se re-concentrant donc sur la jolie silhouette de sa Seconde, Ash se mordit légèrement la lèvre inférieure et respira profondément : elle abusait. Tout ça pour des bonbons, franchement, c’était exagéré. Sans compter que techniquement parlant, ça n’était pas vraiment sa faute si elle avait lâché son paquet !

– Est-ce que tu m'as déjà vu, Toutou-chan ? Est-ce que tu crois que je suis du genre à me laissez faire comme ça ? Non seulement tu vas me repayer ces bonbons, mais tu vas en plus faire deux ou trois trucs pour moi. Après tout, je dois bien avec quelques compensations de tout ce que tu me fais endurer.

« Toutou-chan ». Sous l’insulte que provoquait en lui l’emploi de ce surnom incroyablement grotesque, Ash plissa les yeux, semblant soudain plus agressif que désolé. Il émit également un vaguement grognement, entre la menace et la consternation : depuis le temps qu’il râlait, pestait, grognait, lui intimant plus ou moins fermement d’arrêter de le surnommer ainsi ! Tsss. Rien à faire, malgré ses protestations et ses menaces, elle persistait. C’était d’un agaçant ! Ash avait toujours eu horreur que la blonde l’appelle ainsi, surtout quand la perfide se permettait ce genre de fantaisies devant ses hommes. Enfin, heureusement pour ses fesses, elle n’avait pas encore poussé le vice jusqu’à tenter le coup à Arhen : si elle venait à l’appeler ainsi devant les autres Étoiles (et devant Leila en particulier !), Ash se sentait capable du pire ! Enfin au moins, pour le coup, ça avait eu le mérite de dissiper tous ses remords et ses derniers scrupules : qu’elle aille s’acheter ses bonbons elle-même, ça lui fera les pieds ! Sincèrement, il ne voyait pas pourquoi il devrait ses plier aux quatre volontés de cette chipie capricieuse : après tout, techniquement, c’était sa faute si ses sucreries du moment étaient perdues à jamais ! « Quelques compensations », hein ? Tsss. Elle pouvait toujours courir pour les avoir, ses compensations ! Et ce, peu importe combien elle pourrait hurler ! Il ne céderait pas ! NA ! Après tout, même si Nathalia était franchement balaise quand elle y mettait un peu du sien, Ash savait qu’il n’avait rien à craindre : au corps à corps, il était capable de la battre ; encore heureux ! De plus, il possédait un avantage non négligeable sur la blonde : son caractère insaisissable. Et oui ! Pour pouvoir lui tordre le cou, il fallait déjà qu’elle puisse le coincer, ce qui n’était pas vraiment ce qu’on pouvait appeler « une tâche facile ». Comme quoi, ça avait parfois du bon d’avoir grandi dans la rue... Quand il était enfant, son unique moyen de subsistance avait été le vol. Et pour un gosse, le vol, c’était plutôt dangereux. Du coup, il avait développé une capacité à s’échapper assez impressionnante...

– Il est évident, je suppose que cette idée ne t'ai même pas venu à l'esprit mais je préfère jouer carte sur table avec toi : ceci n'est pas négociable !

Sa dernière remarque arracha un petit sourire mi-amusé, mi-sarcastique à Ash : Nathalia le provoquait. Délibérément. C’était assez fréquent entre eux, en fait. Dans l’intimité, ils se comportaient plus comme « chien et chat » que comme « Boss et Second ». Quelque part, leurs petits affrontements quotidiens faisaient partie d’un grand jeu, un jeu interminable qui venait « pimenter » leur relation. C’était un cercle sans fin : Ash créait des problèmes, Nathalia s’énervait, Ash jouait les pauvres gosses pris en faute, Nathalia jouait les vengeurs masqués ayant pour mission de le discipliner un peu, elle le provoquait – de manière assez subtile, il fallait le reconnaître ; surtout quand on connaissait son manque cruel de délicatesse ! – et Ash marchait à fond, bien entendu, entrant ainsi de bon cœur dans le jeu. Et voilà, ils se chamaillaient ! Quand il ne devait pas affirmer son statut de Boss, Ash était plutôt puéril. C’était un gamin incompréhensible, instable, qui aimait le jeu et le danger. Il aimait le frisson d’excitation qui lui parcourait toujours l’échine avant un affrontement... ou une chamaillerie musclée avec Nathalia-la-furie-blonde, dans ce cas-ci ! C’était dans ces moments-là qu’il se sentait vraiment vivant.

– ‘Charrie pas, grand-mère ! Des compensations ? Quelles compensations ?! C’est ma faute si tu lâches ton paquet comme un bleue, hein ? Tsss. Rejeter la faute sur les autres... C’est pas très propre, tout ça ! railla-t-il finalement, sortant pour l’occasion son sourire le plus arrogant : comme quoi, il n’y avait pas que Nathalia qui était bonne au jeu de la provocation !

N'importe lequel des hommes n'auraient rien osé répliquer à un tel ton & à un tel regard, sauf Ash bien sur. Mais Ash n'était pas n'importe qui, loin de là. Nathalia avait toujours été là pour lui, et il le rendait bien. Malgré leurs sempiternelles disputes, ces deux jeunes gens s'adoraient. S'adoraient ? Non, voilà un faible mot pour décrire ce qu'il ressentait l'un pour l'autre. En vérité, il existait entre eux un réel respect, teinté d'ironie, certes, mais respect quand même, et un amour si profond que personne n'aurait put rivaliser avec ce dernier. Non, ils n'étaient pas amoureux, mais cela ne les empêchait pas de s'aimer. "Amour" est un mot des plus complexes, pour la simple & bonne raison qu'il a plusieurs de ses facettes qu'il tente de cacher du mieux qu'il le peut. Eh bien Nath' et Ash pouvaient se vanter d'en avoir découvert une. Dès qu'elle voyait son patron, la belle pirate ne pouvait s'empêcher de revoir tout ce qu'il avait accomplit pour elle, et tous les bons moments (comme les mauvais) qu'ils avaient passés ensembles. Et tout cela ne serait jamais oublié ou jamais dénigré, tout simplement car en agissant de la sorte, Ash lui avait rendu la vie. Vie qu'elle avait perdue et dont elle n'aurait pas put profiter pleinement en restant avec sa précédente famille. Du début à la fin de la progression de "Toutou-chan", Nathalia l'avait suivi, l'avait secondé, agissant du mieux qu'elle le pouvait et visiblement suffisamment bien puisque son boss ne s'était jamais plaint de son talent de seconde. Le lien qui les unissait était si fort que ce n'était pas une nouvelle dispute qui allait les éloigner plus que ça. Aussi, Ash pouvait aisément se permettre de répondre comme il le fit, cela mettrait du piment dans leur relation et permettrait à Nath' de se défouler. Rentrant pleinement dans le jeu, la provocation qu'il lança à la jeune femme fut des plus surprenantes. Jugez plutôt :

– ‘Charrie pas, grand-mère ! Des compensations ? Quelles compensations ?! C’est ma faute si tu lâches ton paquet comme un bleue, hein ? Tsss. Rejeter la faute sur les autres... C’est pas très propre, tout ça !

Grand mère ? Nathalia en resta coite. Comment avait-il osé l'appeler grand-mère, ce malotru. Il fallait certes avouer que la demoiselle faisait preuve d'une mauvaise foie hallucinante, mais lui dépassait les bornes toutefois. Du moins, bornes qui n'existaient pas vraiment étant donné qu'il était le boss et qu'il pouvait, en d'autres termes, faire un peu ce qu'il voulait, mais que Nath' avait directement érigées pour faire comprendre à Ash qu'il ne fallait pas qu'il les dépasse. Le sourire qui s'était tranquillement installé sur le visage du jeune homme finit à la mettre en rogne. Qu'il pouvait être agaçant parfois ! Lui qui se plaignait toujours qu'elle le frappe ... ne faisait-il pas tout pour qu'elle en arrive à des extrémités pareilles, hein ?!

- Je vais te dire moi, ce qui n'est pas propre : c'est tout ce sucre sur le sol qui est tombé par TA FAUTE ! Oui en effet, c'est ta faute ! Si t'étais pas arrivé et si t'avais pas essayé de me faire peur, comme un imbécile que tu es, rien ne serait arrivé ! Et je vais t'dire ce qui ne va pas être propre mais pas propre DU TOUT : ce sont tes dents qui vont bientôt se retrouver sur le sol si t'arrêtes pas avec ce sourire béat !

Nathalia avait fait un pas symbolique vers Ash, lui faisant clairement comprendre ses intentions. Baah, elle n'allait pas le frapper par surprise tout de même, ça ne serait vraiment pas marrant. Quoi qu'elle savait qu'en le prévenant, elle lui laissait toutes ses chances de courir. Mais elle savait aussi que son patron avait toutefois une certaine fierté et qu'il n'allait certainement pas s'enfuir devant une menace de plus de la part de la belle demoiselle un peu dangereuse sur les bords. Après tout, il était habitué. Nan, Nathalia imaginait plutôt qu'il allait continuer avec ce sourire stupide pour la provoquer et qu'il allait répliquer d'une manière plutôt fracassante une phrase de sa composition & dont seul lui avait le secret. Du moins était-ce ce qu'elle pensait, mais peut être Ash allait-il réagir d'une autre manière. Malgré le fait qu'elle le connaissait comme si elle l'avait faite, la jolie blonde était fréquemment surprise par son patron et par la manière dont il faisait les choses. Peut-être serait-ce les cas, aujourd'hui aussi ?! Au fond d'elle, Nath' l'espérait sincèrement. Après tout, un peu de changement dans ce monde de brutes ne serait pas de refus.

Huuuuuum. Ce coup-ci, il y avait peut-être été un peu fort... Il faut dire que traiter de « grand-mère » quelqu’un d’aussi irritable que Nathalia, ça n’était pas exactement la chose la plus intelligente à faire ; si on tenait un tant soit peu à la vie, bien entendu. Mais bon, sur le moment, dans le feu de l’action et tout, il n’avait pas trouvé mieux – rien qui puisse la faire sortir de ses gonds aussi rapidement et efficacement, en tout cas ! Jouer sur l’âge et l’apparence, contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’était quelque chose qui marchait plutôt bien sur la blonde : même si la différence d’âge entre les deux jeunes gens n’était pas énorme, elle existait. Et quatre années, mine de rien, ça n’était pas si négligeable que ça... De plus, Nathalia était une femme et aussi ahurissant que cela puisse paraître, même les femmes de sa trempe pouvaient s’inquiéter du « temps qui passe » : les rides, l’aspect extérieur, les cheveux, les vêtements, le soucis de rester jolie – tout ces trucs-là quoi ! – mine de rien (et même si elle ne l’avouerait probablement jamais devant témoins !), ça restait un truc préoccupant pour elle. Un truc « typiquement féminin », selon Ash. Parce que bon, lui, personnellement, il ne prenait jamais le temps de se coiffer, de s’apprêter ou même d’essayer d’avoir l’air un peu moins... débraillé, peu importe ses activités de la journée. Il n’en avait strictement rien à foutre ; mais bon, en même temps, le petit brun n’était pas certain d’être vraiment une référence en la matière... Et puis bon, il n’était pas une fille, donc ça faussait inévitablement les données ! Enfin, soit. Toujours est-il que l’histoire de la grand-mère, sans vraiment en avoir l’air, c’était un petit coup de génie, surtout quand on connaissait l’orgueil démesuré et la fierté que la jeune femme pouvait parfois avoir (pour cela, ils se ressemblaient bien, d’ailleurs !). En effet, même si la jeune femme était bel et bien une des leurs depuis longtemps, au fond d’elle-même, elle avait le sang « noble » – le sang doré des aristocrates coulait dans ses veines depuis sa naissance. De même, son enfance avait été marquée par le savoir-vivre, l’étiquette, les bonnes manières, les règles, en bref : elle avait grandit avec tout ces trucs chiants que les parents riches essayaient toujours désespérément de faire avaler à leurs rejetons (parfois à coups de cuillères en argent, s’il vous plaît !). D’ailleurs, quelque part, c’était un peu triste pour eux, malgré leur montagne d’argent et la renommée de leur nom... Mais bon, ça avait au moins un avantage et c’était précisément ce que la blonde avait conservé de son côté « noble » : l’orgueil... et la classe. Elle en avait dans la caboche notre Nathalia et elle savait se tenir, en cas de besoin. Mais surtout, elle avait une fierté en tant que femme assez... considérable. Autant dire que sa petite plaisanterie verbale n’avait certainement pas été appréciée à sa juste valeur ! La tempête ne tarda d’ailleurs pas à se déchaîner, toute puissance dehors : apparemment, oui et même triple oui, c’était sa faute, et la blonde comptait bien le lui entrer dans le crâne et obtenir réparation à grand renfort de cris. Ah, mauvais, mauvais, voilà qu’elle s’avançait vers lui maintenant ! Kssss, il était mal barré !

– Et je vais t'dire ce qui ne va pas être propre mais pas propre DU TOUT : ce sont tes dents qui vont bientôt se retrouver sur le sol si t'arrêtes pas avec ce sourire béat !

Des menaces. Pour l’instant, le pas ferme que Nathalia avait fait dans sa direction n’était là que pour appuyer la déclaration de guerre ; seulement pour donner du poids à ses paroles. Pour lui faire comprendre dans quel pétrin il venait de se fourrer, aussi. Manifestement, les premiers coups de poings ne viendraient pas tout de suite ; néanmoins Ash ne put retenir un nouveau frisson d’anticipation, son sourire goguenard s’agrandissant encore. Comme prévu, Nathalia marchait à fond ! En même temps, avec l’énormité qu’il avait osée lui lâcher un peu plus tôt, c’était comme qui dirait « couru d’avance » ! De plus en plus amusé par la tournure que prenait cette fin d’après-midi, Ash enfuit brusquement la main dans une des poches de son vieux jean noir, fouillant distraitement tout en continuant de fixer Nathalia, un sourire purement arrogant accroché à ses lèvres fines et blanches. Il tâtonna un instant sans résultat, fronçant les sourcils, puis sourit à nouveau, ressortant un bout de gâteau sec légèrement moisi comme s’il s’agissait d’un trophée de guerre. Il le lança ensuite négligemment en direction de Nathalia, sachant pertinemment bien que malgré l’effet de surprise et la vitesse plutôt conséquente du projectile, la jeune femme risquait fortement de l’attraper au vol, ne serait-ce que par pur réflexe.

– Hum. T’es bruyante... Ah, bah... S’il te faut absooolument bouffer un truc... Tiens, cadeau ! lui lança-t-il ensuite, conscient que sa pseudo farce de (très ?) mauvais goût ne ferait qu’attiser la colère de la jolie blonde : c’était un morceau de gâteau... salé.